Avant, les chariots étaient libres comme l’air. On les prenait là où on les trouvait, et on les abandonnait là où on n’en avait plus besoin.
Monsieur Monoprix se fâcha tout rouge et sonna la fin de la récréation. Assez de ces chariots abandonnés l’été au bord des routes, claudiquant une roulette en moins. Et il décida de mettre ces machins à pièce. Il fallait mettre une pièce de 10FF à l’époque. C’était pas rien, 10 Francs. Ça faisait un paquet de malabars, ça.
Et de facto, on constata rapidement l’efficacité du système : on ne retrouvait plus de chariots loin des supermarchés, et quand on voulait chopper un chariot, on savait où le trouver. Je ne sais pas si ce système génial fit la gloire de son inventeur, mais en tout cas, force est de constater qu’il y avait un certain génie à convaincre tout un chacun que notre piècette valait plus que ce beau bestiau de métal et de plastique.
Le système n’empêcha malheureusement pas les petits désagréments, du style « Merde, y’a plus de chariots » (et vas-y que je poireaute 10 minutes que monsieur chariot arrive avec son impressionnant anaconda à roulettes). Même, il en créa de nouveaux : « j’ai plus de monnaie » (et vas-y que je poireaute 10 minutes à la caisse de l’accueil pour casser un billet) ou encore « putain de saloperie de machin qui se coince » (et vas-y que je m’énerve sur le bidule à pièces tandis que les autres consommateurs pressés soupirent ou se foutent de ma gueule).
Le problème du pas de monnaie se faisant de plus en plus d’actualité à l’heure du porte-monnaie électronique, et d’ingénieux inventeurs de gadgets marketing ayant inventés les jetons logotisés permettant de remplacer la pièce astucieusement intégrés à un porte-clé (j’ai découvert qu’on pouvait même les collectionner et que ça s’appelait la clécaddomanie), on peut désormais assez facilement se procurer des pièces factices pour ces monnayeurs. La fonction crée l’organe ?
La dernière fois que, voulant faire de la monnaie, je me rendais en caisse centrale en maugréant, on me tendit généreusement un de ces jetons plastiques (que j’ai fini par perdre). J’ai actuellement dans ma poche, mélangés avec ma vraie monnaie, pas moins de trois de ces jetons. Un Leroy-Merlin, un Volailles Fermières d’Ancenis et un Carrefour (avis aux clécaddomanes). Ce qui n’est pas sans poser de problème quand je veux me prendre une boisson à la machine à café du deuxième — ce qu’on appelle un dommage collatéral.
Autrement dit, muni de ces jetons distribués au tout venant, je pourrais piquer autant de Caddie™ que je voudrais (sans compter que rapidement des petits malins ont trouvé une méthode pour récupérer leur pièce sans avoir à le raccrocher, je suppose qu’un simple tournevis doit suffire).
Je ne sais pas sur quelle morale finir ce billet.
J’hésite entre la morale On vit une époque moderne où je pointerais du doigt l’absurde de cette situation où l’on nous colle des bitoniaux à nos chariots et dans le même temps on nous offre de quoi les neutraliser.
Et une morale plus sombre pour le genre humain, en indiquant qu’on est désormais bien dressés à ramener là où il faut le chariot après nos courses, pour récupérer notre bout de plastique sans valeur.