J’ai retrouvé aujourd’hui la mer. Pas l’océan, non, la mer, la Méditerranée. D’aussi loin que je me souvienne, il n’y a pas eu beaucoup d’années où je n’y aurais pas mis les pieds. Tout parisien que je suis, je me sens dans le Sud beaucoup de racines, en particulier autour de cette Mer Méditerranée (je ne t’imposerai pas le jeu de mot lacanien mère/mer, mais je n’en pense pas moins). Chaque été, quand ils étaient encore vivants, je passais avec ma petite sœur une partie de mes vacances à Cannes (06) chez mes grands-parents maternels. La Croisette n’a pas de secret pour moi.
Après la mort de mon grand-père, ma grand-mère a déménagé pour se rapprocher du centre ville (aucune de mes deux grands-mères n’avait le permis de conduire), mais nous avons continué d’aller en vacances chez elle. Je me souviens du mois d’août 1981 (je n’avais encore que 13 ans). Ma grand-mère nous accompagnait à la gare pour prendre le train du retour sur Paris ; au kiosque à journaux, elle nous demandait de choisir un magazine chacun. Cette année-là, au lieu de l’habituel Picsou Magazine ou autre Pif Gadget, j’optais pour le numéro de septembre 1981 de l’Ordinateur Individuel, numéro que j’ai lu et relu, bien plus souvent encore que les Penthouse planqués sous le tiroir de ma commode d’adolescent. Je pourrais vous raconter comment j’ai par hasard, des années plus tard, croisés les parents du dessinateur Spinga qui avait illustré ledit numéro et dont l’humour décalé faisait mouche (en tout cas sur un garçon de mon âge, qui se satisfaisait de cette alternative à Fantomiald). « Mais, mais, ils m’ont vendu un toaster » était une phrase que ma sœur et moi avons répété des années en continuant de nous bidonner. Vous pouvez beurrer. J’en termine avec cette très private joke et je reprends où j’en étais.
Après la mort de mon grand-père, je continuais donc d’aller à Cannes, mais après le décès de ma grand-mère, ce ne fut évidemment plus possible (mes autres grands-parents habitaient Châtillon-sous-Bagneux (92) largement moins cotée comme station balnéaire). Le relai a été pris par une location collective (par plusieurs des familles de ma fameuse résidence) au Brusc, près de Six-Fours-les-Plages (83). Méditerranée, me revoilà !
J’enchaîne avec plusieurs séjours dans une petite auberge de jeunesse dans la zone protégée des Calanques de Cassis, un truc assez extraordinaire : pas d’électricité, pas d’eau chaude, un confort des plus rustiques mais la nature tout autour et les calanques sauvages pas bien loin où j’allais bronzer à poil sur les rochers avec mes compagnons de chambrée cosmopolites.
Je peux multiplier les exemples de retrouvailles, que ce soit sur la côte française, de Perpignan à Nice, ou à l’étranger. Grèce, Italie, Turquie, Tunisie, Maroc, Espagne…
J’ai retrouvé aujourd’hui la mer. Tout ému par les cris de joie que poussaient mes enfants face aux vagues, j’ai oublié un instant mon rituel de retrouvailles.
Je ne saurais dire quand il a commencé, mais ça remonte à loin dans mon enfance. Je me plante pieds nus au bord de l’eau, immobile ; les vagues caressent mes pieds et quand l’eau se retire, le sable s’effondre sous mes pieds en chatouillant de cette manière unique la plante. Et je m’adresse à elle. En mon for intérieur, précisé-je, cette habitude date d’une époque où l’oreillette Bluetooth n’existait pas encore et je ne tiens pas à passer pour un taré. Je lui souris, je lui dis que je suis content de la retrouver, j’imagine que c’est un plaisir partagé. Je lui dis qu’elle peut me prendre, mais c’est pour être sûr qu’au contraire, par amour, elle m’épargnera. C’est un moment d’intimité où nous sommes seuls, la mer et moi.
Je n’ai pas eu le temps de lui dire au revoir mais elle sait que l’année prochaine je reviendrai, et si cela doit attendre un an de plus, nos retrouvailles n’en seront que plus belles.