Toutes les bonnes choses ont une fin et ce chapitre-ci clôturera donc mon compte rendu du festival Rock-en-Seine 2007.
Mais certaines très bonnes choses ont une très bonne fin et c’était le cas de ce festival qui s’est terminé en beauté… Lisez plutôt !
DIMANCHE 26 AOÛT 2007
Cette fois-ci, je débarque sur le site un chouïa en avance. L’ouverture des portes s’est faite une heure plus tôt, probablement pour que les festivaliers qui bossent le lendemain ne se couchent pas trop tard. C’était sans compter sur… mais n’anticipons pas. Je suis seul pour cette dernière journée. J’ai appris (comme vous) dans les commentaires que la délicieuse Cie était de la fête mais nous ne nous sommes pas croisés, ou alors pas reconnus, et de toute façon l’histoire que je vous raconte aujourd’hui aurait été tout à fait différente… Mais n’anticipons pas. En réalité, pas exactement seul parce que sur le chemin du site, en bord de Seine, je suis tombé sur un autostoppeur. Je me suis dit qu’il y avait 80 % de chance qu’il aille au même endroit que moi et c’était bien le cas. Nous avons donc échangé un peu et il m’a donné ses conseils pour la journée. On s’est quitté à l’entrée du festival car il attendait un copain. Je ne l’ai pas recroisé (ça fait du peuple, 40.000 personnes).
C’est BAT FOR LASHES qui ouvre la danse aujourd’hui. Un groupe que je ne connais pas mais qui semble intéressant (il est recommandé en tout cas par mon autostoppeur). Quatre femmes se partagent inéquitablement la scène. Natasha Khan, la chanteuse d’origine pakistanaise de ce groupe anglais, ne laisse aucun doute sur le fait que c’est elle, le leader du groupe (à tel point que les autres musiciennes sortent carrément de scène pour ses solos). Influences PJ Harvey, Kate Bush, Cat Power… lit-on à son propos. Moi je lui ai trouvé des accents à la Tori Amos, un peu de sa folie douce. Un morceau m’a fait fortement songer à Johnny Hollow (petit groupe gothique de Cold Wave canadien quasiment inconnu découvert par hasard). Une très agréable découverte en guise d’entrée en matière pour cette journée. Je consulte le programme et j’enchaîne (avec hésitation) vers la grande scène pour découvrir THE HORRORS (sacrifiant au passage HOUSSE DE RACKET qui avait l’air talentueux). Je m’installe tranquillement sur la pelouse. Ill fait toujours un temps radieux, j’ôte mon T-shirt Pixies (cf. encadré plus bas) pour parfaire mon bronzage de la veille (je choperai même dans la journée un léger coup de soleil au front). J’accroche moyennement au début du premier morceau que j’entends mais il prend ensuite de l’allant et je finis par adhérer. En revanche, ça ne colle pas avec le programme, ni dans les oreilles, ni dans les yeux. Ce chanteur noir à dreadlocks n’a pas un look de rockeur gothique furieux… C’est une sorte de Mori Kanté shooté au rock. Je compulse les programmes, essaye de voir dans les différents groupes lequel aurait pu être reprogrammé à cette heure mais rien ne colle. Le chanteur nous l’annonce enfin, dans un français sans accent (de fait, c’est un Franco-Mauritanien), c’est un remplacement impromptu ; il a été appelé le matin-même et a accepté le remplacement au pied levé. Je n’avais pas vu les discrètes affiches sur le site qui annonçaient en effet le remplacement de The Horrors (un membre du groupe a eu, semble-t-il, un accident) par DABY TOURÉ. C’était un bon concert, même si ce n’est pas forcément mon rock préféré. Après Daby, baby : je perds cette fois 7-10 cette deuxième et dernière partie, suite à quoi je vais d’un pas peu pressé écouter la pop-folk de DEVOTVCHKA, « le meilleur groupe que vous ne connaissez pas encore ». En fait, leur principal titre de gloire est d’avoir composé la B.O.F. de Little Miss Sunshine. À nouveau, pas ma famille musicale de prédilection, encore qu’en son temps, j’ai bien aimé JAMES (vous vous souvenez ? Born of frustration….) auquel ça ressemble un peu.
Il est l’heure de prendre la direction de la pop entraînante de MARK RONSON mâtinée de hip-hop. Le public converge en masse vers la grande Scène, l’ambiance est maximale (du moins le croyais-je à ce moment-là) sur la pelouse de Saint-Cloud. Ça se déhanche dans tous les sens. Plaisir des oreilles et plaisir des yeux (tu étais belle, toi, dans ta petite robe bleu acier). Le concert se termine par la reprise de Stop me if you think that you’ve heard this one before, des Smiths (et Dieu sait que j’aime l’original, et que ça tient presque du sacrilège d’y toucher – pas plus tard que samedi matin, j’entendais au supermarché une dégoulinante reprise des Smiths, mais de quel titre, déjà ?) qui se termine en medley du Keep me hangin’ on de Kim Wilde. Force est de constater que c’était pêchu. Excellent concert, donc.
Ensuite, et l’on comprendra que c’est avec moins d’enthousiasme, j’irai jeter une oreille sur le R’n B électro relativement sympathique de KELIS (dont il ne me reste plus que mes notes en souvenir). Pour le goûter, je me suis doucement éloigné pour m’engloutir une crêpe au caramel au beurre salé (je salue au passage mes lecteurs bretons, ça fait toujours plaiseere). Le shopping continue puisque je me décide à acheter, pour digérer, un T-shirt du festival que je trouvais plutôt réussi (je dois parcourir le parc de long en large pour réussir à trouver un des derniers exemplaires à ma taille). La vie est toujours belle, le soleil brille toujours.
TEE-SHIRTS&FUTILITÉS
Penchons-nous un instant sur la tenue du festivalier. La tenue de la festivalière mériterait attention également mais c’est plus délicat et il me faudrait plus d’espace. Le festivalier moyen, donc, porte une paire de jeans et un T-shirt. Un jean, c’est un jean, bon, pas la peine d’épiloguer. Parlons donc des T-shirts.
Le festivalier ne dédaigne pas arborer un T-shirt à l’effigie de son groupe préféré ou d’un festival fréquenté dernièrement. Il y aussi une quantité de festivalier qui portent le T-shirt du festival, comme si on ne savait pas, en le croisant, qu’il était au festival Rock-en-Seine 2007 (« ah, tu étais à Rock-en-Seine 2007 ? Sans blague ! »). Dans ce cas, il vaut mieux porter un T-shirt d’une édition précédente (« je suis un habitué ») voire de la toute première édition (« je suis un pionnier »). Le choix du groupe que l’on portera est décisif. C’est nettement plus classieux de porter un « Sonic Youth » qu’un « U2 » (d’ailleurs, je n’en ai pas vu, de U2, mais pas mal de Sonic Youth). J’en ai vu un boutonneux qui portait un T-shirt « Beatles » mais je doute qu’il soit allé les voir en concert.
Le premier jour, je portais une marinière ramenée de Bretagne, raccord avec la crêpe beurre salé (je me la jouais « ouais, moi je n’ai pas besoin d’afficher un groupe, je suinte déjà le rockeur ». Classe, quoi !)
Le deuxième jour (il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis et ma belle marinière était toute tachée), je portais un T-shirt à manches longues à l’effigie du groupe « The Cranes » que 0,27 % des festivaliers connaissent et je ne les ai pas croisé. Le bide, quoi.
Le troisième jour, je portais mon T-shirt à manches courtes « Pixies » et non seulement je n’en ai pas croisé un seul autre (avec les Cranes non plus, certes), mais celui-ci me valut plusieurs interpellations : « Yeah! Pixies! Nice group!!! » (également disponible en v.f.).
Moralité : à Rock-en-Seine, faut se la jouer grand classique (pour être reconnu) Indie (pour le standing).
La festivalière, elle, ferait mieux de ne porter qu’une jolie petite robe courte bleu pétrole. Tout le reste est superflu.
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Alternative : le T-shirt rebelle.
« Le libéralisme PUE » proclame celui-ci, façon avertissement anti-tabac.
Cette photo (agrandissable en cliquant) est censée, selon son auteur (moi) être erwittienne.
Hop, maintenant, direction la grande scène pour écouter KINGS OF LEON que je ne connais pas encore mais que même Mark Ronson recommande (ainsi que mon autostoppeur), alors… Une fois devant les Rois de Léon, je suis empreint d’un mol enthousiasme. Je crois que c’est de la pop pour djeunz (ne le répétez pas). Mes oreilles en ont entendu d’autres, des groupes de ce style portés aux nues… Je me demande, tiens, si je n’apprécie pas plus la musique sacrée qu’ils ont diffusée juste avant leur entrée sur scène (le chanteur porte d’ailleurs un assez ostentatoire crucifix autour du cou). Ah ! j’entends un morceau pas trop mal. Le suivant démarre et j’ai l’impression d’écouter exactement la même mélodie. Cela me décide à aller tester l’alternative en la personne d’ALBERT HAMMOND, JR, histoire de changer de disque. C’est, ma foi, assez sympathique, un pop-rock très guitare (bon, qui pour être franc ne révolutionne pas plus mes oreilles que KOL mais me semble moins prétentieux). Quelques titres bien sympathiques tout de même (que je n’ai évidemment pas notés). La suite se jouera scène de la Cascade où, dans 10 minutes, va jouer JUST JACK. Je ne connaissais pas (oui, TorcibA, j’ai vu depuis que c’était dans ta playlist) mais les échos étaient favorables. Hip-hop, funk, pop, électro, l’ensemble est plutôt chouette et entraînant, même si pas spécialement novateur. Mais c’est vraiment frais, spontané, une ambiance sympa règne dans le public tandis que je commence (il est 19 heures) à siroter – très – lentement ma Grappa del Secolo (un délice) que j’avais transvasée dans une banale bouteille en plastique (je ne sais pas ce qu’ils avaient, à l’entrée, mais les vigiles secouaient toutes les bouteilles dimanche, alors que vendredi et samedi le contrôle était minimal ; j’ai serré les fesses en voyant ma grappa secouée comme de l’Orangina). Cette grappa est une pure merveille à 70° qu’une chère amie m’avait ramenée d’Italie. La bouteille aura tenu plusieurs années mais est donc morte ce beau jour d’août 2007. Le dernier morceau de Just Jack est particulièrement élancé et je quitte le concert plein de Starz in [my] eyes en me dépêchant toutefois de rejoindre la grande Scène pour écouter FAITHLESS et là… WOW !!! L’ambiance est vraiment fantastique pour ce concert très dansant. La foule est en délire (Just Jack, qui me semblait tout à l’heure au top, finalement, c’était du pipi de chat), la chemise noire du batteur est déjà trempée de sueur dès le deuxième morceau. Je me suis installé dans la foule, mais pas trop près, de manière à avoir de l’espace pour danser sans percuter mes voisins. De fait, deux ou trois rangs devant moi, tout le monde est agité, mais à mon niveau, je suis presque le seul, avec une jeune femme blonde, juste devant moi, qui danse presque avec la même frénésie que moi, et dont le copain, à ses côtés, semble inerte. La jeune fille fait propre sur elle (son copain, carrément BCBG), je lui donne dans les 24 ans. Elle porte de fines lunettes et je me dis qu’elle pourrait ressembler à Krazy Kitty (ne prends pas mal la suite, ma chère K²). Une idée krazy germe alors dans mon esprit. Je griffonne donc sur une feuille détachée du carnet même qui me sert à prendre des notes un petit mot qui dit en substance « Si ton boyfriend te fait aussi bien l’amour qu’il danse, ça ne doit pas être la fête tous les jours dans la chambre à coucher » suivi de mon email. Je plie en huit ce bout de papier et j’attends le moment propice pour le glisser dans la poche de sa veste qu’elle porte nouée autour de la ceinture. C’est délicat. Je ne veux pas qu’on me voit. J’hésite, un peu persuadé de faire une connerie. Et puis je ne m’arrête pas de danser. Sur le dernier morceau, You got One où le chanteur fait délirer la foule, je réussis enfin à commettre mon forfait. Plusieurs options. Je reçois un courriel du mari outragé qui me convoque sur le pré à 5 heures. Le papier passe à la machine à laver et Madame retrouve un machin illisible en ce demandant d’où il sort. Elle le trouve mais le lit devant lui et ils le jettent. Elle m’écrit. Le papier glisse de sa poche au concert suivant et donne un peu de lecture aux (nombreux) vers qui labourent la pelouse clodoaldienne. Hormis ce fait-divers (je vous tiens au courant s’il a une suite), FAITHLESS sera définitivement mon concert préféré de tout le festival. Quelle découverte ! (« Ahhhh, mais le méga-hit Insomnia, c’était donc eux !?! »)
Le concert fini, je veux vite enchaîner avec CRAIG AMSTRONG, artiste que j’apprécie (j’ai deux de ses albums) et dont j’espérais beaucoup. Mais l’escale dîner s’impose, vu que Björk démarre juste après et que je ne veux pas rater (au moins) son entrée (pour la suite, je me disais que ça dépendrait du spectacle proposé). Mon choix se porte ce soir sur le stand Tartiflette pour un sandwich raclette. Il y a du monde et je m’impatiente car le concert de Craig Amstrong a déjà commencé et je ne l’entends que de trop loin. Après avoir remis dans la file une nana qui voulait gruger (« ah ! la file est là ? pardon… »), je finis, et de manière involontaire, à gruger à mon tour (légère culpabilité mais homo homini lupus). Parce qu’ensuite il faut re-faire la queue pour avoir le verre de (mauvais) vin rouge qui accompagnera ce (finalement mauvais) sandwich. Rock-en-Seine n’est pas encore un festival agréé Goth-et-Millau. J’arrive enfin devant la scène où se produit Craig Amstrong, mais, las, déception. Est-ce que cela tenait au parterre clairsemé ? Je pense que la grosse majorité des festivaliers s’est précipitée devant la grande scène pour être « bien placé » (tiens, ça me fait marrer d’ailleurs ces festivaliers dont le leitmotiv est d’être « bien placés ». On les voit sortir des premiers rangs avant la fin du concert pour se préparer à être « bien placé » au concert suivant. Mais quel intérêt ? Moi, ça ne m’intéresserait d’être bien placé que pour un concert que je veux voir de bout en bout. Certes, en ne m’y prenant pas à l’avance, je vois mes idoles d’un peu plus loin – ce qui peut être l’objet de quelques regrets occasionnellement – et je suis parfois un peu moins « emporté par la foule » mais finalement, même pour Faithless, je n’ai été que peu tenté de jouer des coudes pour fusionner dans les premiers rangs). Le peu d’ambiance n’explique pas tout. Devant Alpha, j’ai retrouvé l’ambiance intimiste des albums, devant C.A., son atmosphère particulière ne m’atteignait pas (étais-je encore hypnotisé par Faithless ? Ce n’est pas à exclure).
Peu avant le début du concert de Björk, je quitte la Cascade pour aller vers la grande Scène et essayer de me rapprocher autant que possible afin de ne rien rater d’historique. C’est blindé. Je trouve une place correcte et j’attends. Évidemment, BJÖRK a le retard minimum syndical dû à une star de son rang. Elle entre enfin avec une garde rapprochée de joueuses de cor (celle que l’on voit le mieux sur les écrans a d’ailleurs l’air d’une charmante blonde). Björk, quant à elle, n’a plus l’air toute jeune mais on n’aura droit à aucun plan rapproché sur son visage (enfin, peut-être que si, je n’ai pas tout regardé du spectacle, mais je n’en ai vu aucun). Elle porte une robe bouffante pas géniale (elle devrait prendre Émilie Simon comme styliste) et des (je crois que ça s’appelle comme ça) leggings. C’est à dire qu’elle est sur scène pieds nus. Comme Émilie. Ah, en fait, Émilie avait un fuseau et (j’ai vu ça après coup sur les photos de Julien) des petites chaussures rayées mais elle s’en est débarrassée en cours de concert, c’est sûr, je l’ai vue pieds nus avec juste le truc de son fuseau (alors que Björk, non, pas de truc aux pieds du tout). Oui, certes, je m’intéresse pas mal aux filles aux pieds nus. En plus, j’ai appris que je n’avais qu’à peine deux degrés de séparation avec Émilie Simon alors tous les espoirs sont permis (ahum). Revenons-en à des considérations plus musicales. Björk interprète un morceau que je trouve pas mal mais je ne suis globalement pas emballé par son orchestre très cuivre (alors qu’avec d’autres groupes, les cuivres m’ont, au contraire, enthousiasmé) et je trouve les mélodies répétitives. Gonflant, en somme. Je décide alors d’aller tenter ma chance avec ENTER SHIKARIqui se présentait comme une alternative intéressante. Je fends la foule à contresens pour gagner l’autre bout du parc. Mais une fois sur place, bof. Ça change de Björk, pour sûr, laquelle avec ses seuls « merci bien » et « merci beaucoup » comme interaction avec le public me donne l’impression de cachetonner, un peu absente, un peu trop concentrée, un peu trop pro (mais elle chante bien, hein, ça, je ne le lui retire pas). ENTER SHIKARI, donc, ça fait beaucoup de bruit et ça remue mais ça ne me fera pas danser alors je refais demi tour pour finir Rock-en-Seine en écoutant Björk, couché sur l’herbe. C’est agréable, tout de même, et « demain y a bureau », me dis-je. D’ailleurs, Björk va un peu plus se lâcher, en souhaitant bon anniversaire avec le public pour deux membres de son groupe. Et les derniers morceaux, un peu plus techno, font un peu plus bouger la foule (pour autant que je puisse en juger de mon point de vue horizontal). Il y a un (seul) rappel. Je me relève pour admirer le lancer de confettis dorés qui clôt le concert, puis je me rallonge dare-dare pour prolonger l’instant en espérant que l’armée de festivaliers qui rentrent le pas lent chez eux ne me piétinent pas. J’ai le droit à plusieurs remarques amusées mais personne ne s’arrête pour partager avec moi une larme de grappa. Au bout d’un long moment, je me décide à partir, résigné à rentrer chez moi. C’était un beau festival. Rideau !
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Rideau ? J’ai parlé trop vite. Tandis que je longe le stand Heineken, je m’aperçois que s’en échappe une musique technoïde et qu’à l’intérieur, une atmosphère furieuse y règne. Le (petit) chapiteau est bourré à craquer mais je réussis à m’y faufiler. Et j’apporte mes degrés supplémentaire à une ambiance surchauffée : ça danse, ça pogotte, des jets de bière arrosent le public, on voit même passer quelques corps au dessus de nos têtes que l’on porte à bout de bras, comme aux premiers rangs des concerts déchaînés. Quel pied ! Mais ce bonheur a une fin. Après une grosse demi-heure (ou une petite heure ? j’ai un peu perdu la notion du temps), la musique s’arrête, malgré nos sifflets, définitivement. Le site va fermer. Je n’arrive pas à me résoudre à m’arrêter si bien lancé et jaillit alors cette idée de mon esprit : « et si je m’incrustais au camping ? ». Là bas, en effet, il y a un DJ qui anime les nuits. Mais ce n’est pas gagné, l’entrée est filtrée. Les campeurs ont un bracelet blanc et le mien est… noir ! Je regagne un groupe de campeurs et les amadoue avec ma toute dernière goutte de grappa. Je me dis que si je passe bras dessus, bras dessous, dans un groupe, j’attirerai moins l’attention. Je retourne mon bracelet car l’autre face est, par bonheur, blanche. Je griffonne sur le bord un numéro d’emplacement de tente que je calque sur leur bracelet, je fais une vaguelette qui symbolise le logo Rock-en-Seine normalement imprimé et je me dis qu’avec la lumière nocturne, ça fera illusion.
Sauf que l’entrée du camping est très bien éclairée par un projecteur. Mon bracelet est habilement placé face vers le sol, je le tends d’aussi loin que je peux au vigile et je passe le contrôle. JE PASSE, BORDEL DE MERDE !!! J’exulte intérieurement (j’attends de m’éloigner un peu pour exulter extérieurement, je ne voudrais pas me faire remarquer et échouer si près du but). Mais ma joie est de courte durée et mon cœur se noud. Dix mètres plus loin, il y a un nouveau contrôle plus serré. Avec contrôle des bracelets et des sacs. Je tends mon sac grand ouvert, pour faire diversion, mais l’agent que j’ai choisi (une agente, en fait) fait quand même pivoter mon bracelet pour voir l’autre face. « C’est mort, mort, mort ! » me dis-je en mon for intérieur. Mes fesses ne peuvent pas être plus serrées. La nana voit le numéro d’emplacement et, à mon avis, a aussi dû voir l’absence de logo. — Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle en désignant la cape dans mon sac. Je bredouille, ne trouve plus mes mots — C’est [un silence…] ma cape ! Et je passe le deuxième et dernier contrôle. JE PASSE À NOUVEAU, PUTAIN DE BORDEL DE MERDE !!! Mes accompagnateurs n’en reviennent pas. — T’es trop fort ! — Tout est dans le regard, je leur réponds, frimant malgré la voix tremblante que doit me donner la décharge d’adrénaline.
J’ai donc atteint mon graal. Une petite piste de danse bien agitée entourée de boue. Mon sac toujours sur le dos, je me joins à la troupe et m’agite aux rythmes dance que nous offre le DJ. Ici, le contact est plus facile. Je sympathise avec un petit groupe d’Anglais avec qui on échange sur notre perception du festival, nos coups de cœur et nos déceptions. Je raconte comment j’ai réussi à m’incruster au camping (je suis si fieeeer) et on arrose ça à l’Heineken (faut de mieux). Je passe un petit coup de fil chez moi pour prévenir que je ne rentrerai pas tôt, que je compte bien danser jusqu’à plus soif. Je remarque une jeune fille qui danse, presque devant moi, pieds nus. Pieds nus dans la boue. Oh ! je pense vous avoir déjà dit que j’aimais les femmes pieds nus mais vous ai-je dit que de voir danser une femme pieds nus était, pour moi, un des sommets de l’érotisme ? Je suis donc ému. Et ravi de constater qu’elle et moi échangeons des regards (semble-t-il) complices. Elle danse avec son amie et un homme qui semble faire partie du même groupe. Je suis paralysé par ma timidité : j’ose si rarement aborder une femme qui me plaît. La voilà qui sort de son groupe, j’imagine qu’elle va boire un verre et m’apprête à lui en offrir un, mais non, elle quitte les lieux. J’espère qu’elle va revenir et continue de danser et de bavarder avec mon nouveau copain anglais (Hi! Don’t know your name but say hello to you if by chance you read me!). Elle revient, ouf ! De temps en temps elle se pose sur un banc mais je n’ose pas la rejoindre. Un autre garçon, si. Pfff. Je danse. Elle revient. Redanse, toujours avec des regards vers moi, se rapproche parfois, s’éloigne. Je prends mon courage à deux mains, je fonds vers elle à un moment où elle quitte la piste pour s’asseoir. Mais elle va parler à son amie, ne me regarde pas ostensiblement, j’ai l’impression qu’elle lui dit « tu as vu, c’est lui, il me suit ». Je suis là, comme un con, à côté d’elle. Je me dis « c’est pas possible ! regarde moi ! laisse-moi te parler ! ». Ce qu’elle ne fait pas. Alors je considère que je me suis pris une veste et je vais m’asseoir plus loin, dépité, après être passé prendre une pinte pour oublier.
Conversation en converse
Mercipour la pause, les campeuses !
(Mais je préfère les pieds nus)
À peine quelques minutes plus tard, une jeune Anglaise vient parler avec moi, je me console un peu en me disant qu’une autre chance me tombe peut-être dessus. En tout cas, doux pansement pour mon âme. Je lui propose un verre pour m’accompagner. Elle accepte et nous poursuivons le dialogue.
Je ne sais plus trop dans quelles circonstances, mais je suis retourné danser vers mon premier coup de cœur (Amy! you were sweet, you were nice, you were cute, but my eyes were turned to another woman! All the best for you, and thank you for the moment we spent together). J’avais voulu demander à sa copine une explication sur son comportement, ce que je devais en penser, mais finalement je n’en ai pas eu l’occasion et j’ai finalement trouvé un créneau pour lui parler, à elle. Commencer par trouver une langue pour se parler. Elle est Allemande. Ce sera le français, avec des bouts d’anglais et d’allemand que j’essaye de retrouver. On se parle comme si l’épisode étrange n’avait pas eu lieu. Je voulais lui demander des explications et puis on a finalement fait connaissance tranquillement. Et tu fais quoi dans la vie ? Et c’est chouette le camping ? Et tu habites où ? Et cætera. Et tu as quel âge ? — 24 ans, et toi ? — Tu m’en donnes combien ? — 29 ans ? (elle est gentille, non ? bon, il était tard et il faisait nuit) — Euh, non… exactement 10 de plus ! (je me demande si je ne lui ai pas fait un peu peur, sur le coup). On discute et je remarque d’un coup que la musique s’est arrêtée. Il est trois heures du matin. Elle me demande quelques conseils : où aller acheter des habits sur Paris ? Je lui propose deux adresses et je lui laisse la mienne, l’électronique. Elle va ensuite… se coucher, et je ne sens pas dans son annonce le créneau qui me laisserait espérer que ça ne soit pas seule. Avant son départ, je lui fais la bise et lui avoue que j’étais très émue de la voir danser pieds nus. Marie ! (Mary ? je ne sais pas comment ton prénom s’écrit en Allemand) nous aurions été l’un pour l’autre un si beau souvenir si nous avions fait l’amour… Ô toi que j’eusse aimée… Ô toi qui le savais…
Il va bientôt être quatre heures du matin. Je n’irai pas travailler demain. Je rentre chez moi. Je franchis les barrages à contresens sans qu’on me pose la moindre question. Le rythme de la danse et le souvenir de cette jeune femme continuent de battre dans ma tête et, arrivé chez moi, je ne trouverai pas le sommeil avant 7h30.
À ce jour, je n’ai reçu aucun message, ni de Marie, rentrée mardi à Berlin, ni de ma bouteille à la mer… (Marie, bitte, schreib mir ! Deine Wörte wären Honig für mich…)
Le lendemain, j’ai remis mon bracelet côté noir et j’ai constaté que les inscriptions Rock-en-Seine sont intégralement effacées, probablement lavées par ma transpiration dansante… Je le porte encore autour du poignet tandis que je rédige ce compte rendu, pour prolonger encore le souvenir de ces trois jours de fête.
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Fin de festival
La fête est très bel et très bien finie… Je rentre chez moi seul.