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Touche pas à mon chauvinisme

Pour faire plaisir à une amie qui a bien du malheur (comprenez, elle a dévissé de 4000 places dans le classement Wikio alors que ELLE.fr, dans un geste plein de générosité, avait placé son burp en fameuse position dans son top des burps féminins qui parlent de cul), j’ai acheté l’hebdomadaire « Vendredi » qui, dans son numéro 19 paru le 6 mars lui consacrait généreusement une plage presque pleine. Vraiment, je trouve ça touchant, tous ces gestes de compassion.

Mais là n’est pas mon propos.

Ce numéro, en l’honneur de la journée de la femme, était consacré uniquement aux burpeuses dépourvues de couilles, qu’elles parlent de politique, de tricot ou de cul ou de n’importe quoi. S’en suit une polémique à deux balles sur la nécessité de ce genre de discrimination positive qui ferait écho à la discrimination négative dont ces mesdames seraient par ailleurs victime, patati, patata.

Mais là n’est pas non plus mon propos.

Toujours est-il qu’en feuilletant ce canard inutile (mais là n’est pas mon propos), je suis tombé sur cet extrait en page 4 intitulé « Touche pas à ma Picardie ». Verbatim :

Conversation dans le futur…
… ou pas ?

Elle : Mamaaaaaaaan, j’m’ennuiiiiiiiiiiiiiiiiie !
Moi : Tu veux qu’on chante ?
– Nan on l’a déjà fait.
On arrive quand ?

– Pas tout de suite mon cœur, on vient à peine de démarrer.
Dis maman, c’est vrai que quand tu étais petite tu jouais au jeu des plaques d’immatriculation en voiture ?
– Oui et j’adorais ça, c’était super rigolo et l’air de rien on retenait mieux les départements.
On joue ?
– Ah ben non ma chérie on ne peut pas, maintenant il n’y a plus le numéro des départements sur les plaques.
Pfuh, c’est nul. Et pourquoi y avait avant ? Ca servait à quoi ?
– Quand on achète un véhicule on doit le faire immatriculer, lui donner une « carte d’identité » des voitures. Et, comme sur ta CNI, tu donnais « l’adresse » de ta voiture, là où tu habitais.
Par exemple, nous on vit dans le Val d’Oise, la voiture aurait été immatriculé 95.
Et pourquoi on donne plus l’adresse maintenant ? Elle a plus d’appartenance géographique la voiture ?
– …
Du coup maintenant, les gens ils font comment pour savoir d’où tu es ?
– Ben ils ne savent pas !1
Et t’es d’où toi maman ?
– Comme toi, du Val d’Oise.
Oui mais en vrai t’es d’où ? T’es née où ?
– Nul part ! Je viens d’une région qui n’existe plus.
Hein ? Comment c’est possible ça ? T’es forcément de quelque part !
– Oui je suis née dans l’Oise, donc je suis du 60. Mais personne ne dis « bonjour je suis de Seine et Marne » ou encore « hey salut, moi je suis du Tarn et Garonne ».
Non les gens disent qu’ils sont bretons ou alsaciens ou languedocien (…)
Et alors toi, tu dis quoi ?
– Ben je suis bien embêtée. En vrai je suis picarde mais cette région n’existe plus depuis quelques années.
Le 60 il est bien dans une région aussi ?
– Oui maintenant il est en Ile de France. Mais je ne suis pas francilienne, je suis picarde, soit d’une région aujourd’hui inexistante. Je n’ai plus d’identité régionale. Adieu veaux, vaches, cochons et les champs de betteraves.
Et comment une région elle peut disparaître comme ça ?
– Demande à Monsieur Balladur !

Franchement, ce genre de manifestations de chauvinisme local, ça me gave pas mal, au même titre que les pleurnichards qui râlent parce que les futures plaques minéralogiques ne mentionneront plus le département dont ces personnes sont si fières d’y avoir élu domicile (ben oui, parce qu’un Finistérien établi dans les Bouches-du-Rhône, on sait qu’il n’est pas fier d’être Marseillais à cause de son petit autocollant BZH, donc si tu n’as pas d’autocollant, c’est que tu es fier de ton immatriculation). Joie et bonheur pour tous, l’état, dans sa grande mansuétude et ne voulant pas frustrer des millions de beaufs, autorisera la présence du numéro du département à côté du numéro d’immatriculation et je dois dire que cette mesure me satisfait pleinement : je vais pouvoir continuer à jouer au jeu des départements avec mes filles lors des longs déplacements en voiture.

Deux choses me désolent particulièrement.

D’une part, il y a que cette franchouillarde manifestation d’orgueil local, et la polémique qui s’en suit aura tendance à brouiller un débat autrement plus important sur la nécessité ou non d’une telle réforme et surtout celui sur les arrières pensées électoralistes de la droite sous-jacentes dans la façon dont ce redécoupage sera probablement opéré (en gros, éviter que se reproduise la débâcle des Régionales de 2005).

D’autre part, cette pensée crétine qu’une décision administrative supprimerait d’un trait les particularismes culturels locaux. J’ai passé de nombreuses vacances dans les Côtes du Nord et, aussi incroyable que ça puisse paraître, c’était aussi chouette que les Côtes d’Armor. Je parle de quelque chose que je connais, puisque j’en suis très personnellement la victime. Je suis né dans un département qui n’existe plus, la Seine (78) et du coup, mon numéro de sécurité commence par 178 1671278 et pas 1671292 (ouais, je suis alto-sequennais et super fier de l’être). Probablement cette disparition brutale du département qui m’a vu naître m’aura profondément traumatisé, ce qui explique sans doute ma tendance à désormais me dépraver en club échangiste.

Je parie que dans quelques années, ceux qui pleurent leur région menacée seront drôlement fiers de leur nouvelle région et pourront ainsi durablement, de génération en génération, transmettre leur petit orgueil local et continuer de regarder de travers tous ces gens « pas de chez eux » (Parigots, Chtis, Bougnoules, Niakwés… » qui oseront habiter leur belle contrée.

Pour rappel, en juin, on votera pour essayer de continuer de construire l’Europe. Cherchez l’erreur.


  1. Et les piétons ? Et les cyclistes ? Comment on fait pour savoir d’où ils viennent ? Comment qu’on fait pour savoir si c’est des gens d’chez-nous où si on peut les traiter de sales étrangers ? Et si on nous collait tous un petit badge – j’ai pas dit étoile, hein – avec notre A.O.C. ? NDLR
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