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La nuit courte

Chaque matin au réveil, épuisé, je me dis que « ce soir il faut que je me couche plus tôt » et chaque soir, malgré les paupières lourdes, ce mal de crâne diffus dont j’ai l’impression qu’il est devenu permanent, je repousse le moment où je vais me glisser sous la couette, éteindre toute lumière, et espérer que le sommeil s’empare de moi sans trop se faire attendre.

J’aime pourtant tant dormir.

J’ai passé un week-end chez ma mère. Chez ma mère, c’était chez mes parents l’année dernière. J’ai passé un week-end chez et avec ma mère et les journées étaient traversées de longs silences pesants et c’étaient deux nuits à dormir seul.

Je déteste dormir seul.

Je réalisai hier soir que c’était peut-être ça, le problème : repousser le moment où il faudrait dormir seul.
Se disperser sur Internet. Écrire une note. Commencer à écrire une note à minuit et demi, quand déjà le sommeil égare mes pensées jusqu’à ce qu’il me terrasse. Je ne suis pas insomniaque, non. Je suis stressé par cette perspective de me retrouver seul sous la couette, sans corps à étreindre, sans lèvres douces et affamées de ma peau nue.

J’adore dormir nu.

Et pourtant voilà un bon moment que je porte un pyjama. Le froid sans doute. On va dire que c’est à cause du froid.
Deux jours après ce week-end au chevet de mon père fantôme, le soir, rentré de ma journée de boulot, j’ai la vision perturbée par des lumières qui flottent devant mes yeux. Une sorte de persistance rétinienne, comme après avoir vu une lumière vive, mais qui n’en finit pas de persister. Le mal de crâne est venu ensuite, fort, celui qui annihile toute velléité de répondre à quelques courriels urgents qui s’entassaient dans ma boîte aux lettres pro, me fait abandonner le poste y compris pour surfer sur la toile frivole, celui que je ne connaissais pas. Puis viennent les nausées. Je m’allonge, tôt pour le coup, dans le noir, je vomis un peu. Je me dis que ça ressemble à une gastro mais avec le mal de crâne en plus. Le lendemain, je ne vais pas chez le docteur, non ! Le lendemain, je regarde sur internet ce que raconte mon ami sur « mal de crâne + vomissement » et on me parle de « migraine en aura », qui s’accompagnent de perturbations visuelles, dis donc ! Parmi les causes : stress, deuil…
Le lendemain, ça va mieux.
Le surlendemain, ça revient en moins violent. Il faut dire que j’ai vu le coup venir. Quand les petits points se sont remis à danser au fond de ma rétine, je suis allé me calmer dans le noir tout de suite et ça n’a pas empiré.

Quand je me couche avec ma femme, quand je la rejoins sous la couette, elle me tourne le dos car elle aime qu’on se blottisse l’un contre l’autre, en cuillère. J’aime bien aussi. Je me love contre elle, et ma main part courir sur sa peau. Plus que tout, j’aime aller épouser la rondeur de son sein. C’est là qu’après avoir soulevé un peu le bras pour que ma main puisse se faufiler jusqu’à son giron, elle le rebaisse fermement et m’immobilise. Elle me fait une clé. Elle m’enferme. Je quitte assez rapidement cette position qui me dérange, me retourne dans le lit, cherche longtemps une position qui m’apporter l’apaisement et le sommeil.

Je me couche contre elle parce que je l’aime et que je veux que nos corps dansent avec nos cœurs.
Elle se couche contre moi parce qu’elle m’aime et veut me retenir. Elle craint que je la quitte plus que tout. Quand, il y a 4 ans, je lui ai proposé une thérapie de couple, c’est quand elle a compris que le risque de séparation était réel qu’elle a fait le chemin qui l’a conduit à accepter ce travail et arrêter de balayer l’expression de mon mal-être sexuel d’un revers de la main.

Je n’ai plus envie de me coucher parce que mon lit est un désert ou une prison.


Illustration : lextight – Pete West
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