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Poudre de perlimpinpin

Il y a des choses qui changent et d’autres qu’on imagine immuables tout au long de notre vie. Des choses qui nous auront marqué dès l’enfance, qui dès lors nous paraissent gravées à jamais dans notre système de valeur. Par exemple, depuis tout petit j’aime le jeudi et le chiffre 32. Depuis tout petit j’aime les saucisses que je veux manger avec de la moutarde.

À 6 ans, après avoir entendu Brassens (on écoutait beaucoup Brassens à la maison et j’ai désormais l’intégrale à la maison : qu’est-ce que je disais !) chanter La femme adultère (vous savez, « ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière »), j’ai demandé des explications et j’ai déclaré à la suite :
— Moi, je ne veux pas épouser la femme adultère
— Pourquoi ?
— Parce que je veux coucher tous les jours avec elle

Dans ces choses inamovibles, qui font partie des meubles de ce que nous sommes, je pensais qu’on pouvait mettre la poudre chocolatée.

À la maison, chez nous, c’était Nesquick. Mon frère et moi en consommions une grande quantité (mes sœurs, elles, n’étaient pas trop chocolat dans mon souvenir, va savoir pourquoi). Nesquick, à mes yeux, était le chocolat qui se dissolvait le mieux dans le lait froid, car je buvais mon chocolat dans du lait froid. Et puis j’aimais bien son goût.

Il y a eu un mouvement revendicatif à la noix pour le retour de Grosquick, remplacé par ce crétin de lapin. C’était un peu pitoyable et très symptomatique du vide revendicatif de notre génération L’Île aux enfants. Moi, en fait, j’en voulais à l’époque à Grosquick d’avoir remplacé celui d’avant (impossible de trouver trace de ce qui précédait Grosquick, ni dans ma tête, ni sur le net). Je détestais Grosquick. Mais j’adorais le Nesquick.

J’ai passé mon enfance dans une résidence assez spéciale (j’en reparlerai peut-être à l’occasion) où nous les enfants avions une liberté de circulation plus grande que dans une résidence ordinaire, serrures rarement fermées, sonnette facultative. Il en résultait une intimité avec mes voisins assez grande, une connaissance de leur mode de vie plus fine.

Chez les H., par exemple, on buvait du Poulain et on mangeait du pain. Je veux dire : du pain, pas de la baguette. On allait souvent à la boulangerie de la place S*** en groupe et quand moi j’achetais une baguette, eux, famille pourtant moins nombreuse, prenaient deux pains. Je ne sais pas pour quelle raison étrange mais j’ai toujours pensé que le pain était moins bon que la baguette. Manque de finesse probablement. Dans les boîtes de chocolat Poulain, il y avait des images qu’on collectionnait dans des albums. Ils en avaient des tas sur des sujets les plus divers. Ça devait carburer sec sur le chocolat en poudre. Le Poulain, j’aime autant vous dire, malgré ce qu’ils prétendent sur l’emballage, ne se dissout que très mal dans le lait froid.

Chez les B.,  le chocolat de référence c’était l’Ovomaltine, ou le très proche Tonimalt. Une des spécialités B., c’était la tartine de pain de mie toastée, puis beurrée, puis recouverte de chocolat. Le beurre, sous la chaleur de la tartine sortie du grille-pain, fondait et le chocolat s’accrochait dessus et fondait lui aussi un peu… Miam ! Les B., qui étaient plus riches que mes parents et avaient donc un frigo mieux rempli, ou disons rempli de truc plus chers, avaient aussi deux spécialités industrialo-culinaires qui me transportaient :
— le jus d’orange concentré surgelé (qu’on pouvait sucer comme une glace, mais qui devait en principe se diluer dans l’eau pour faire un jus d’orange de qualité honnête (on trouve la même chose chez Mc Do)
— les Danino. Alors là, là, Monsieur Danone, si tu pouvais nous faire un trip revival du Danino, je suis sûr que tu ferais un carton car à chaque fois que j’évoque les Danino avec ceux de ma génération qui les ont connus, c’est à chaque fois des souvenirs émus qui refluent. Les Danino, pour ceux qui ont raté ça, c’était des sortes de mousse (chocolat ou vanille) qu’il fallait mettre à glacer au freezer (un truc qui a quasiment disparu, le freezer) et qu’on mangeait à la petite cuillère ou avec la langue vu que c’était dans un récipient rond assez plat. Reviens, Danino, reviens ! Parce que la France, elle a besoin de toi…

Chez les M., le chocolat était le Benco. Qui ne se dissout pas si mal dans le lait froid, mais qui a vraiment un goût dégueulasse. Enfin, fade. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs culinaires chez les M.. Un des fils M. était — enfin, je peux dire « est » puisqu’il est toujours vivant, à 39 ans, ce qui était fort improbable 20 ans plus tôt — atteint de mucoviscidose et à ce titre astreint à un régime alimentaire spécial très appauvri en matières grasses. Benco devait donc être un chocolat particulièrement maigre. Je me souviens qu’on mangeait chez eux des biscuits Petit-Déjeuner, un truc très sec, carré, mais qui était assez bon à tremper dans du lait chocolaté, justement. La mère des M. était très bonne cuisinière capable de faire des desserts extrêmement sophistiqués dont je profitais peu. Peu de souvenirs gastronomiques chez les M. mais des souvenirs musicaux (le disque Allez les verts qu’on se passait en boucle) et une bonne partie de mes souvenirs d’apprentissage érotique ; j’y reviendrai probablement à l’occasion ! Que buvait-on chez les L., les T., les G. etc., je ne m’en souviens plus. Probablement devait-on trouver dans certains placards du Van Houten (que je prononce toujours en exagérant l’aspiration du H. Van HHHHHHouten), qui est une horreur pour ce qui est de la dissolution dans le lait froid, mais qui est recommandé pour saupoudrer le tiramisu. Je vous parle d’un temps ou les marques de distributeur n’étaient pas développées comme maintenant ; il n’y avait donc pas de chocolat Leclerc ou Auchan.

Que s’est-il passé pour que désormais je ne supporte plus le Nesquick qui a vraiment un goût de lécithine de soja trop prononcé ? Je dis ça, je n’ai aucune idée du goût que peut avoir la lécithine de soja, ni même ce qu’est la lécithine, ni pourquoi on en met dans le chocolat en poudre et d’autres machins, toujours est-il que le Nesquick en contient et que ce n’est pas bon. Je n’arrive plus à me souvenir quand j’ai basculé vers le Tonimalt, qui a désormais et toujours mes faveurs. Le Tonimalt est légèrement meilleur que l’Ovomaltine et je crains que ne s’approche le jour où Nestlé mettra fin à la production de ce truc, comme ils ont arrêté les Apple Mini alors que c’était des super bonnes céréales à la pomme que je pleure (et mes filles aussi). J’ai remarqué que plein de trucs que j’aimais disparaissent de la circulation ; je ne dois pas avoir le goût assez standard (de même les balisto à la pomme ont disparu, c’étaient les meilleurs ; je ne parle même pas des yoplait quetsche-mirabelle qui étaient démentiels en dépit d’une accroche peu glamour, je le reconnais).

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