Il y a un bar à côté de la mairie du *** arrondissement qui m’a, par deux fois, accueilli accompagné de J***.
La première fois, c’était en octobre 2005, il était à peu près minuit. Nous venions de dîner J*** et moi dans une pizzeria banale, à proximité. Nous avions passé un repas agréable ensemble, et nous eûmes tous les deux l’envie de prolonger le tête à tête.
Nous nous sommes donc rencontrés devant la mairie, nous avons hésité un instant sur le choix du restaurant (après tout, c’était son quartier, je me laissais guider), et une fois assis, nous y avons commencé à discuter. Nous ne connaissions rien de l’autre, ou presque. Nous nous imaginions probablement juste quelques affinités possibles autour de la musique, de notre orientation politique et — en tout cas je l’espérais — un certain hédonisme.
Le temps passait agréablement en sa compagnie, la conversation était déliée, sans silences embarrassés ; mes yeux plongeaient parfois dans un décolleté qu’elle n’hésite pas à mettre en valeur quand elle est en mode séduction (et moi qui aime plutôt les petits seins, je me laissais pourtant émouvoir !). Le moment était agréable, donc, et nous n’avions pas envie de nous séparer si vite. Ma maison m’attendait, avec femme et enfants. Son dispositif anti-homme-marié était prêt à s’armer, mais elle souhaitait attendre encore un chouïa avant de l’activer.
Elle m’invita donc à boire un verre (après une courte pause à discuter avec des connaissances de son quartier — c’est une célébrité locale, peu de rues dans Paris où elle peut se promener sans risquer d’être alpaguée par un de ses camarades) dans ce bar où elle avait ses habitudes. Je pris une bière, elle une eau minérale (si ma mémoire ne me joue pas de tour). C’était le mois d’octobre, mais il faisait encore doux. Nous étions en terrasse, la conversation continuait de se dérouler bon train, nous étions face à face, je commençais à regretter d’avoir promis de rentrer chez moi ; en même temps, je ne pouvais pas vraiment me permettre de rentrer à une heure indécente et peu avant une heure du matin, nous nous séparâmes.
J’envoyai de ma voiture le SMS qui tue, vous savez, celui qu’il ne faut jamais envoyer, l’aveu de faiblesse, Vercingétorix déposant ses armes aux pieds de César, le SMS qui raconte combien on a passé une bonne soirée, et qu’on aimerait qu’il y en ait d’autres.
Elle me répondit du SMS qui assassine, vous savez, celui qui fait regretter amèrement à celui qui a envoyé le SMS qui tue de ne pas avoir respecté la règle d’Or. Un soufflet. Un camouflet.
Je regagnais mes pénates tout déconfit.
◊
Neuf mois plus tard…
◊
La deuxième fois, c’était en juillet 2006, nous étions en terrasse à nouveau, ce qui est moins inhabituel en juillet. Nous n’étions plus face à face mais côte à côte. Cette fois, c’est elle qui sirotait une bière ; j’avais moi pris un Coca pour essayer de faire passer le steak tartare qui ne passait pas (il doit y avoir un truc lacanien là-dedans, J*** ! désolé pour cette private joke). Nous étions tout près de son appartement qui m’était désormais zone interdite. Elle avait encore un joli décolleté, mais mon regard à moi était tourné vers mes chaussures. Elle avait l’air triste, je ne devais pas non plus être jovial. Nous eûmes droit au quota habituel de connaissances venues la saluer. Il fut temps vers une heure du matin de nous séparer à nouveau. Je n’envoyais pas de SMS pour lui hurler mon désespoir. Je me contentais de relâcher un peu les vannes des larmes que j’avais coupées à coup de chimie pendant une semaine.
Je regagnais mes pénates tout déconfit.
Les jours étaient comme des semaines,
les semaines comme des mois,
mais au bout d’un an et d’un jour
il accosta enfin
en pleine nuit,
dans sa propre chambre
où il trouva son dîner
qui l’attendait
— tout chaud —
in Max et les Maximonstres, de Maurice Sendak