À l’occasion d’un petite séance de shopping au Printemps en compagnie de ma chère compagne, pour renouveler un peu son stock de lingerie (je mentionne au passage qu’il s’agit d’une initiative à elle, qu’il ne soit pas dit ici que je ne rends pas grâce aux efforts qu’elle fait occasionnellement ; n’allez pas non plus imaginer qu’elle allait profiter de l’occasion pour me faire un strip-tease ou une pipe en cabine d’essayage, on n’en est pas vraiment là), j’ai remarqué le catalogue « Magic », devant un présentoir rempli de boîtes diverses, toutes marquées « Magic ». Je feuillette le catalogue. Pas le moindre frou-frou, pas de pièces de dentelles à faire frémir mes naseaux. Non, une succession de pages sur le modèle de celle scannée ci-contre (NB : les autres miniatures plus bas sont cliquables pour être agrandies).
Sur 36 pages, c’est un défilé de sous-vêtements, d’accessoires, pour remonter les petits seins (Wonderbra a démocratisé l’accessoire il y a une quinzaine d’années, mais la concurrence prospère), faire paraître rebondi un cul s’il est jugé trop plat, rentrer le ventre, affiner la taille, embellir le décolleté, cacher les tétons (NB : il existe désormais également des accessoires servant exactement au contraire, à savoir simuler des tétons en érection), renforcer les épaules, « corriger les rondeurs disgracieuses » (sic), remonter des seins qui tombent, etc.
Toi qui es trop ronde ou trop plate, Magic va faire des miracles pour toi et te rendre un peu plus conforme à notre norme esthétique, à nous les mecs. On te veut avec des seins fermes, qui ne tombent pas mais qui débordent de la paume, on te veut avec un cul à faire bander un mort, tortille le bien quand tu passes devant nous pour nous exciter, on te veut avec un ventre plat et des cuisses sveltes, ne va pas croire que ta peau d’orange et ta cellulite pourraient un instant s’assortir avec les bourrelets de nos ventres gonflés de bière (tu sais, la quarantaine, c’est pas facile pour nous, sois compréhensive, quand on avait 20 ans, on pouvait vider le frigo sans prendre un gramme mais c’est fini).
La mode (ce n’est pas un scoop) nous renvoie avec constance des images de corps incarnant prétendument nos canons de beauté moderne, beauté tellement factice que les plus belles des plus belles femmes doivent subir le coup de bistouri indolore de Photoshop qui gommera toute « irrégularité », un grain de beauté ici, le relief d’un os là. Accroche-toi, accroche-toi bien, femme de la rue, femme commune, pour encaisser l’impossibilité d’atteindre ce rêve-là, si tu y crois.
Bien sûr, tu pourras toujours refuser de manger de cette magie-là, rester nature, comme tu es, te contenter d’un régime à l’approche de l’été (ou pas), avaler un slimfast à l’occasion pour te donner bonne conscience et te limiter au Wonderbra si ta poitrine n’atteint pas le 90C. Tu trouveras des hommes qui t’aimeront comme tu es, d’autres qui te cracheront à la gueule leur aigreur de ne pas être de ceux qui se tapent des mannequins, de ceux à qui on aura aussi fait briller le miroir aux alouettes et qui y auront cru.
Mais tu peux aussi acheter un petit bout de ce rêve, à peine un parcelle (parce que probablement que si tu as besoin de « gagner une taille », c’est que tu as probablement besoin d’en gagner 6 ou 8 pour ressembler à un mannequin anorexique). Alors je t’imagine enfilant ta gaine amincissante et remonte-fesses, ton soutien-gorge push-up aux coussinets gonflables adaptables, tes épaulettes sporty, posant tes bandelettes de maintien transparentes adhésives. Je t’imagine faire de l’effet à cet homme, au cours de la soirée, cet homme qui ne ressemble pas vraiment à ceux que tu croises tous les matins dans le métro (ils sont chouettes avec leur regard en acier-velours, leurs muscles saillants et leur abdos en béton sur ces affiches 4×3), cet homme à qui on ne vend pas encore la ceinture abdominale Magic qui transforme la bière en tablette de chocolat, ni la postiche Magic qui transforme un crâne déplumé en crinière (mais ça viendra, patientez quelques années, ça viendra). Il aura envie de coucher avec toi alors tu accepteras parce que son envie aura éveillée la tienne. Vous vous retrouverez dans sa chambre ou la tienne et quand tu enlèveras ta robe, et tout le bordel qu’il y aura en dessous, quand tu te montreras à lui telle que tu es, que restera-t-il de son désir ?
Épilogue : on a trouvé un magnifique ensemble Princesse Tam-Tam noir et blanc. Ma femme est superbement bandante, quand elle le porte, nue, avec ses petits seins et son ventre mou de quarantenaire bipare.