Ce fut pour moi comme un rite initiatique, une de ces cérémonies qui, dans les sociétés tribales, vous valent un petit bout de prépuce en moins ou un os dans le nez en plus. Tu seras un homme, mon fils ! Oui maman.
L’achat de mon premier costume.
Je venais de finir mon service militaire, mon CV de jeune ingénieur avait atterri sur les bureaux de moult éminents Directeurs des Ressources Humaines, les premiers entretiens d’embauche se profilaient, il fallait donc que j’ajoute à ma panoplie l’indispensable attribut qui signerait incontestablement mon nouveau statut de jeune cadre dynamique, un costard plus quelques bidules à mettre autour du cou.
(En réalité, je travestis [sic !] un peu la réalité puisque l’achat de mon premier costume n’était motivé par le cadre professionnel, mais par l’imminence des mariages de quelques proches – n’en déplaise à Columbine qui souhaiterait que mon burp ne soit qu’un journal du réel.)
C’est donc ma chère mère qui m’accompagna rues Saint-Placide et approchantes pour m’assister dans le délicat choix de cette tenue – et accessoirement la financer. Sans elle, je ne sais pas ce que je serais devenu. Bon, je ne vous parle pas du lait nourricier, ni de ces années d’attention (non, je ne vais pas me mettre à chanter du Marie Laforêt). Non, je vous parle des costumes, ces habits pas comme les autres.
Oui, pas comme les autres.
Prenez une paire de chaussures. Bon. Vous allez dans un magasin de chaussure (après vous être assuré que vos chaussettes n’étaient pas trouées ni puantes), on vous fait essayer 7 pieds gauches, quand votre choix est fait, on remet la chaussure essayée avec la chaussure qui est restée dans la boîte, on essaye de vous refourguer du cirage et de l’imperméabilisant (la première fois, vous dites « oui ». La suivante, vous dires « j’en ai déjà », ce qui est vrai, et les fois suivantes aussi parce que vous vous êtes rendus compte que ça évitait de faire gonfler la facture de 10%). Bon. Vous arrivez chez vous, tout content de votre nouvel achat et puis le lendemain vous vous décidez à mettre vos nouvelles chaussures. Vous les sortez du carton, et si vous essayez de le mettre tout de suite, vous vous rendez vite compte qu’il y a un problème. Il y a ce bout de papier journal au fond de la chaussure à enlever. Il y a les lacets qui sont mis n’importe comment et qu’il faut remettre en place pour pouvoir les nouer, mais grosso modo, si votre mère a bien fait son boulot, vous vous en sortez tout seul.
Prenez une chemise. Bon. Là, déjà, vous ne pouvez pas souvent les essayer, les chemises, alors vous avez intérêt à bien connaître votre taille. Un vendeur qui fait bien son boulot aura un mètre-ruban qu’il s’empressera de vous mettre autour du cou tout en vous montrant cinq modèles qui vous seraient parfaitement assortis. Vous rentrez chez vous. Le lendemain, vous voulez mettre l’une de ces trois si jolies chemises que vous avez fini par acheter, vous ôtez la protection plastique, vous avez des tas de machins à enlever, des pincettes et/ou des épingles, des renforts de cols en carton, du papier de soie. Bon. Les premières fois, vous oubliez des épingles et vous comprenez votre erreur en enfilant la chemise (Dame et Bricabrac sont invitées à se présenter à l’accueil pour nous indiquer si, dans certains milieux, il est d’usage de volontairement laisser les épingles en place). Vous vous rendez compte également qu’une chemise neuve, si elle n’est pas froissée, dispose en revanche de pli marqués qui ne sont pas ceux d’un repassage soignée. Mais bon gré, mal gré, vous vous en sortez.
Le costume, sous son apparente simplicité (un pantalon, bon, un pantalon quoi, une veste, une veste c’est simple, pas d’aiguille, deux manches pour les bras, quelques boutons), dispose d’un code complexe qui, au contraire des chaussures avec du papier journal et des chemises avec des aiguilles, n’est pas à la portée d’un simple esprit déductif mais est véhiculé par un corps social élitiste. Malheureux celui qui, portant simplement un costume, pense accéder du même temps à la upper class.
Je passerai rapidement sur le pantalon. Les seuls trucs à savoir, c’est que, primo, la taille du pantalon est induite par la taille de la veste – heureusement, pour moi, ça correspond, mais je suis sûr que pour certaines personnes pas taillées selon les canons couturiers, ce doit être une galère à chaque fois renouvelée) et, secundo, qu’ils sont vendus sans ourlets. Très frustrant : on achète un beau costume et il faut le laisser dans le magasin pour ne le récupérer qu’une semaine plus tard. Avec ou sans revers ? À l’époque de mes premiers costumes, la mode était avec, maintenant c’est sans, mais ça changera probablement encore une ou deux fois d’ici la retraite.
Par contre, la veste, ahhh la veste ! Ça c’est pervers !
Première chose : les boutons. Y a plein de boutons, sur une veste. Aux manches, mais c’est juste pour décorer on n’y touche pas. Sur le devant, y a les vestes croisées, avec les deux rangées de boutons, que l’on réserve aux commerciaux et aux hommes politiques ventrus (modèle paroxystique : la veste bleu marine avec boutons dorés à motif « ancre »). Et puis les vestes droites, avec une seule rangée de bouton, classiquement au nombre de trois, parfois deux ou quatre et probablement, à la suite d’un coup de génie d’un quelconque styliste, dans un nombre encore différent. Il faut savoir qu’il est ringard de fermer tous les boutons à la fois.
Mais ça, les boutons, c’est rien encore.
Il y a aussi les poches. Faut le savoir, les poches des costumes sont cousues. On pourrait donc croire, au début, que ce sont de fausses poches, qui ne s’ouvrent pas, mais en fait, si, il faut s’armer d’une fine paire de ciseaux (perso, moi je fais ça avec mon cutter) et zac ! zac ! délicatement, il faut les ouvrir afin qu’on puisse y glisser clés, cartes de visites et pochettes pour les grandes occasions. Ceci ne concerne que les poches extérieures, car les poches intérieures sont, elles, immédiatement utilisables pour chéquiers, portefeuille et tutti quanti. À noter la présence de plus en plus fréquente d’une poche destinée à accueillir les téléphones portables, que je trouve très pratique pour y glisser une ou deux capotes.
À toi, ami lecteur, qui n’a pas eu une maman pour t’expliquer ça, qui n’a pas trouvé un collègue compatissant pour t’expliquer discrètement que l’étiquette était à découdre comme les poches, je te souhaite de découvrir cette note et de rejoindre la caste de « ceux qui savent ».