Je ne suis pas un spécialiste de l’auto-flagellation. Je peux exposer mes failles mais je vais essayer de ne pas passer pour un lâche, un mufle ou un ingrat. Évidemment, je suis quelqu’un de tellement formidable ! Mais si on creuse un peu, derrière l’image, on peut trouver des comportements pas jolis-jolis, des hauts faits dont j’ai encore honte, quinze ou trente ans plus tard. Ce que Memorandhomme nomme les lieux impurs, ces coins malfamés de ma personne. Si ces souvenirs me font encore honte si longtemps après, c’est qu’ils sont, finalement, constitutifs de mon être. Ils n’ont pas disparus comme une entaille sur la peau effacée à la faveur d’une mue.
Le moment où je me suis fait gifler par P*** alors qu’elle s’offrait à moi et que, très innocemment, je lui demandais comment elle faisait je-ne-sais-plus quoi « d’habitude ».
Cette fois où, membre élu du BDE de mon école, arrivé second du scrutin, je candidatais, sur de ma victoire, au poste de président alors que j’avais promis de ne le faire que si j’arrivais en tête. Et que sèchement, un par un, le bureau me barrait l’accès aux postes de responsabilité que je convoitais (une belle leçon de politique, ma foi !).
Toutes ces fois où, enfant, j’ai volé de l’argent à mes frères et sœurs, ou à mes voisins.
Cette fois où j’ai baissé la vitre de ma voiture à l’approche d’une jeune fille, l’interpellant pour qu’elle monte dans ma voiture, pour être l’espace d’un moment son client…
Cela faisait un moment que ça me travaillait. À quelques reprises déjà, j’étais passé en voiture, traversant le bois de Boulogne ou de Vincennes, ralentissant, comme les autres, à l’approche des prostituées. Je n’avais jamais franchi le cap. Je ne sais pas si c’était les filles qui étaient trop moches, mon envie pas assez claire, ma frustration pas assez grande ? Un peu tout ça à la fois sans doute.
Cette fois-ci, j’étais sur les boulevards des Maréchaux, pas loin de la porte de Clichy, bien avant les lois Sarkozy pas encore Kayzer sur le racolage. Je suis passé une première fois, en repérage. Je voulais qu’elle soit jolie. J’en ai repéré une qui semblait « convenir ». Au deuxième passage, peut-être même au troisième, tant je n’étais pas sûr de ce que je faisais, je me lançais. Je ne pense pas que j’ai lancé la phrase rituelle « c’est combien ? », je crois que c’est elle qui a engagé la « conversation ». Elle est montée dans ma voiture, on a discuté un peu, je me suis renseigné sur le prix (je crois que c’était 200 francs la passe), sur les modalités. Il fallait aller dans un parking souterrain, pas très loin. La fille n’était pas si belle que ça, de près. Elle était très maquillée. Elle avait un accent de l’est, m’a confirmé venir de ??? et m’a dit son prénom, qui était peut-être un pseudonyme, peu importe. Elle et moi conversions. Je pense que c’était indispensable pour moi d’avoir un minimum de convivialité dans ce moment. Comment aurais-je su si c’était la coutume pour elle, si les clients étaient souvent comme moi, un peu honteux, avaient besoin de ce sas qui pouvait donner un soupçon d’humanité au commerce de la chair, ou si « les autres » se chauffaient en échangeant des propos pornographiques ? Toujours est-il qu’elle participait avec entrain à la conversation, tout en mastiquant vigoureusement son chewing-gum. Il me semblait qu’elle devait avoir dans les 20 ans. Cela faisait partie de mes « critères » : qu’elle ne puisse pas paraître mineure.
Elle me dirigea jusqu’au parking où je prenais mon ticket, de plus en plus inquiet sur ce qui allait se dérouler. Elle m’indiqua à quel niveau de me rendre, et une fois ma voiture stationnée, moteur coupé, elle ne perdit pas de temps.
Je ne me souviens pas avec précision dans quel état j’étais à ce moment-là, mais il est clair que je ne bandais pas comme un taureau ! Sur ma queue molle, ou semi-molle, elle enfila d’un geste assuré un préservatif sorti de son sac (inclus dans le forfait, et ça me revient au moment où je l’écris, j’ai commencé par lui payer le prix de la passe) et commença à me sucer. Ma mémoire doit me jouer des tours (et pourtant elle a tendance à enjoliver le passé), parce que j’ai le souvenir d’une fellation manquant totalement de douceur, limite désagréable, et pourtant, elle aura su donner à ma verge la rigidité suffisante pour la suite des opérations.
Sans doute dans un souci de flatter sa clientèle, et dépourvue d’imagination dans le domaine de la parole érotique, la jeune prostituée répétait à l’envi « comme tu as une grosse queue ! ». Elle ne voulait pas perdre trop de temps, aussi, dès que mon sexe fut en mesure de la pénétrer, elle s’adossa sur le siège passager et écarta les cuisses, guida mon sexe pour que la pénètre. Tandis que j’allais et venais en elle, elle continuait de m’encourager comme dans un doublage médiocre de film porno médiocre : « Oh oui ! c’est bon ! comme tu es gros ! continue ! … »
Je baisais, certes, mais c’était tellement éloigné de ce que j’attends généralement de la sexualité que je pensais que je ne jouirais jamais. C’est l’inverse qui se produisit. Alors qu’habituellement, quand je suis avec une nouvelle partenaire, il me faut une longue période d’acclimation avant de me vraiment me laisser aller, là, j’ai joui en quelques minutes, à la satisfaction générale. Pour elle, parce qu’elle passerait ainsi plus rapidement au client suivant. Pour moi, parce que ça mettait fin à une expérience que je regrettais déjà tant elle était éloignée de ce que j’avais fantasmé. Cette première expérience est restée unique, et le restera probablement encore longtemps, tant que j’arriverai à vivre avec des « bénévoles » des moments bien plus excitants, bien plus émouvants. Je reste persuadé que sexe et argent font un très mauvais ménage. Et pourtant, je l’aurai fait une fois, et je sais dès lors que je suis faillible. Il m’arrive, de temps à autre, de croiser au détour d’une rue une péripatéticienne, de la jauger et parfois de m’imaginer que je pourrais un jour être son client.
Crédit photo : je ne sais pas.