Il fallait bien que ça arrive à un moment ou à un autre. Les effets de cette première pinte commençaient à se faire sentir d’autant que la suite suivait son cours, glissant dans mon gosier, traversant prestement boyaux et reins pour gonfler plus encore ma vessie. Je ne pouvais plus lanterner, je quittais donc un moment mon agréable compagnie pour trouver d’un pas alerte le chemin des toilettes et là, pas de bol, elles n’étaient pas libres.
Une jeune fille avant moi attendait déjà son tour et puisque nous étions désormais deux à poireauter, on peut dire que nous formions une queue.
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Ma première précaution, que l’on peut aussi prendre pour une façon de rompre la glace, fut de vérifier qu’elle attendait bien pour la même chose que moi. Elle me répondit par l’affirmative bien au delà que ne l’exigeait la simple politesse. Je me suis alors douté qu’elle n’aurait rien contre un peu de conversation.
Bingo ! Quelques secondes plus tard, la voilà qui me relance sur je-ne-sais-plus quel sujet. Peu importe. Causette en dent de scie niveau conversation chez le coiffeur ou dans le taxi (je ne suis pas Fiso, moi, quand je fais la causette avec le coiffeur, ça reste très conventionnel – comprendre : météorologique).
L’attente se prolonge et notre prédécesseur ne semble toujours pas prêt à libérer la place. Elle va vérifier une première fois et revient bredouille. Je crois qu’on parle des effets désastreux de la bière sur les vessies. De temps à autre, je danse sur place pour oublier l’envie d’uriner qui me taraude.
Puis elle me dit :
— Voulez-vous (oui, on se vouvoyait, NDLA) vérifier que les toilettes sont bien occupées, parce que j’en suis quand même à ma deuxième pinte.
Je serais tenté de n’en rien faire, mais après tout, ça me donne l’occasion de bouger. J’entre donc dans les toilettes, vérifie la porte des WC qui s’ouvre et dévoile un trône on ne peut plus vacant. Damned !
J’avertis donc la demoiselle que la place est libre. Je la lui laisse bien évidemment très galamment, restant toutefois à l’intérieur des toilettes, notre conversation se poursuivant à travers la porte tandis que j’entends sa miction gargouiller dans la cuvette. C’est évidemment inconvenant et très légèrement troublant.
Cette fille était jeune, pas vilaine, mais un petit quelque chose dans ses proportions que je trouvais disgracieux. À mon avis, elle était comme un de ces Anglaises qui se bourrent la gueule le samedi soir et sont prêtes ensuite à se faire tringler par le premier gars qui voudra d’elle, en espérant qu’il ne soit pas assez beurré pour bander.
Elle tire la chasse, sort des WC et m’y laisse la place. Pendant qu’elle se lave les mains et qu’enfin je me soulage (constatant d’ailleurs à ce moment que le sexe que je tiens pour viser montre un début d’érection), elle me demande :
— Puis-je faire quelque chose pour me faire pardonner ?
Je ne sais plus ce que je marmonne, un non poli, certainement.
Alors que dans ma tête, j’envisageais de lui rouler une pelle.
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Quand, un peu plus tard, j’ai repensé à la scène, avec mon esprit d’escalier habituel, j’ai pensé que la réponse qui s’imposait, c’était évidement :
— Une p’tite pipe ?
Ce soir-là, ce fut une veuve poignet et surtout pas d’imprévu dans ma petite vie bien réglée.