Ça fait depuis le CM2 au moins qu’on se connaît, peut-être cela remonte-t-il même au CE2, quand je suis arrivé à l’école primaire B*** après mon déménagement. Je pourrais interroger mes photos de classes, mais dans ma mémoire, je ne remonte pas avant le CM2, où j’ai en tête des images de cour de récré où nous jouions ensemble. Je n’étais pas une « fille manquée » mais je faisais partie des garçons pas passionnés par le foot et je fréquentais donc des filles, dont toi, et des garçons qui ne jouaient pas forcément au foot ou à l’élastique (il m’est arrivé occasionnellement de jouer à l’un comme à l’autre). Nous avions des jeux mixtes, de gendarmes et voleurs, d’osselet, etc., ou bien, tout simplement, on tapait la discute.
Arrivé au collège, nous faisions partie de la petite bande de copains qui se retrouvaient presque systématiquement à chaque récré et à la pause du déjeuner, avant ou après la cantine, du côté de la haie, sur une petite butte à droite de la cour, contre le mur qui nous séparait de la forêt. Si ma mémoire est bonne, les groupes mixtes n’étaient pas si fréquents au collège, où c’était plutôt les filles d’un côté et les mecs de l’autre (amis lecteurs, c’est le moment de ressortir vos souvenirs).
Tu faisais donc partie de mes très bonnes copines, tu étais la meilleure copine de ma meilleure copine (qui habitait juste à côté de chez moi, et chez qui j’allais souvent squatter le mercredi après-midi ou le week-end. Cette meilleure copine en pinçait peut-être pour moi – elle ne me l’a jamais dit, mais elle eut un jour un comportement qui me fit douter (j’y reviens plus bas) – mais, pas de bol, moi c’est toi que je kiffais grave (NB : je signale à la jeune frange de mon lectorat que cette expression est grave un anachronisme). Je ne sais plus dire non plus à quel moment je me suis dit que j’étais amoureux de toi ; avant l’adolescence, ce concept était un peu abstrait, mais avec la poussée d’hormones, je suis devenu un masturbateur compulsif de la main droite, tandis que mon comportement, gauche, me faisait désirer beaucoup de jolies jeunes filles de mon entourage de façon désordonnée (un jour je tripais sur É*** et le lendemain M*** m’accompagnait dans mes fantasmes pré-hypnotiques), mais n’en séduire aucune, vu que j’étais bien trop inhibé pour déclarer ma flamme à quiconque ni même tenter la moindre approche. J’étais juste le bon copain.
En quatrième, je suis tombé raide-dingue d’une sérieuse concurrente à cette bande de jeunes filles en fleur parfumées au Biactol : l’informatique. J’ai embrassé (avec la langue) cette profession dans le CDI du collège en découvrant (et en apprenant quasiment par cœur) un ouvrage de vulgarisation sur le sujet où il y avait même, dans les annexes, une vraie carte perforée (là encore, je m’adresse à mes jeunes lecteurs : cherchez juste pas à comprendre, jeunes cons).
Il me restait quand même un peu de cerveau disponible pour être amoureux de toi, A***, et après des semaines d’hésitation moite, j’ai fini par te rédiger ma déclaration d’amour sous forme d’organigramme. « Salut. M’aimes-tu ? Si oui, GOTO tralala ; si non, GOTO chercher un tanière profonde pour cacher ma honte et digérer mon chagrin. » (J’ai l’air de plaisanter ?)
Après moult transpiration là encore, j’ai réussi à planquer l’enveloppe qui contenait les premières lignes de code de mon programme amoureux dans ton cartable pendant un cours d’allemand, et chaque jour qui suivit, je me rendais au collège dans un état d’intense fébrilité, attendant ta réponse.
Le lendemain, rien.
Le surlendemain, pas plus.
Imaginez l’état dans lequel j’étais une semaine plus tard, n’osant évidemment pas te demander ta réponse, encore moins pourquoi tu ne me répondais pas. Je finis par me confier à notre meilleure amie commune, qui t’a donc transmis le message, et le lendemain, j’ai eu ton…
j’ai eu ton…
j’ai eu ton OUI !
Putain que j’étais heureux !
Je passe sur l’épisode avec É*** (je pense qu’il y a eu là intervention pas très bienveillante de la copine, d’où mon soupçon qu’elle fut jalouse) qui voulait me casser la gueule à la récré, soit disant parce que je lui avais piqué sa copine qui venait d’accepter de sortir avec lui (soit dit en passant, A***, je n’arrive pas à croire que tu aies pu dire oui à ce lourdaud). J’ai eu le droit à son poing dans la gueule le jour où je n’ai pas couru assez vite à la sortie du collège (je vous rappelle que je n’étais pas foot, donc pas baston non plus), suivi quasiment immédiatement de ses excuses quand il a appris que ma déclaration était antérieure à la sienne, même si ta réponse fut postérieure, du fait de mon enveloppe trop bien planquée dans ton cartable (tu ne l’avais pas trouvée, en fait).
Nous étions donc officiellement amoureux l’un de l’autre, mais nous n’étions pas sortis de l’auberge. Il fallait donc maintenant nous embrasser. Je passais désormais mes après-midi libres et des bouts de week-end chez toi, quand tes parents nous autorisaient à nous voir, car ils étaient très stricts sur ton temps de devoir.
Et là, nous sommes partis sur encore de très longues tergiversations.
— On le fait, là ?
— Ouais ! On le fait !
(…)
— Bon, on le fait, là ?
(…)
— Et si on mettait de la musique pour s’ambiancer ? (trop de la balle, cette expression, c’est R. qui me l’a appris, total anachronique aussi, NDLR)
Notre tube, c’était L’été indien de Joe Dassin (que je connais absolument par cœur pour l’avoir entendu whatmille fois), mais Carlos tentait aussi de nous encourager avec son plus jovial Big Bisou (que j’ai connu par cœur aussi mais dont mon cerveau snob a réussi peu ou prou à planquer dans un recoin sombre de ma mémoire).
Nous avons essayé de créer une intimité plus propice à notre premier attouchement buccal dans ton tunnel-crocodile. Ça n’a pas marché non plus.
Des semaines se sont écoulées avant qu’une après-midi, par je-ne-sais quel miracle, nous avons enfin trouvé tous les deux le courage de nous donner ce baiser. Je me souviens de notre maladresse, de nos hésitations, de mes bagues orthodontiques qui ont cognés tes dents, de la gêne qui en a résulté, et je garde, plus de 30 ans après, un souvenir d’une émotion sans plaisir. Je ne suis même pas sûr que nous ayons eu un 2e baiser. Un peu de temps a passé, et tu as fini par me larguer, peut-être impatiente de trouver un garçon un peu plus audacieux.
Voilà à quoi je peux résumer cette première amourette : un organigramme, un coup de latte, un baiser (coucou M’zailes !), que dis-je, un Tiny bisou goût métal, et rideau.
Ensuite, je suis tombé amoureux des palanquées de fois, mais sans le moindre succès, quelques déclarations d’amour écrites (pas capable de faire autre chose) repoussées poliment, cinq ans de patience avant de retrouver une fille qui veule bien m’embrasser et me dépuceler dans la foulée (cf. ma Journée particulière) – pour le coup, ce fut un baiser chargé d’émotion et de plaisir, et je m’en souviens des plus vivement.
Nous sommes restés copains jusqu’en seconde, et puis là, notre meilleure copine commune et toi, vous avez un un tournant hard-rock, nous nous sommes éloignés, puis complètement perdus de vue après le lycée.
Penses-tu encore à moi ? Sans certitude, je crois que j’étais, pour toi aussi, le premier baiser. A-t-il pour toi ce même goût étrange de la première fois, si intensément attendue, mais finalement décevante – la montagne qui a accouché d’une souris – ou lui trouves-tu une autre saveur ? Es-tu saisie par l’étrangeté du contraste entre nos compulsions de jeunes ados (étais-tu une petite branleuse à cet âge ?) et la timidité de nos ambitions amoureuses ? Quel souvenir gardes-tu de ton prétendant à nos amours balbutiantes ? Te demandes-tu ce à quoi pu ressembler la liste de mes histoires de cœur et de cul dans laquelle tu portes le numéro 1 ?
Moi, je pense encore à toi et j’ai longtemps eu envie de te revoir, caressant même l’espoir de te re-séduire pour jouer à donner une suite un peu plus hardcore à ce baiser raté. J’ai failli te revoir lors de la fête que j’ai donnée pour mes trente ans ; j’avais envie de revoir quelques anciennes têtes de ma jeunesse, tu aurais pu dire oui mais tu avais un autre engagement à cette date, et quand tu as essayé de me rendre la politesse quelques mois plus tard, c’est moi qui n’ai pas pu.
Je t’ai googlée, j’ai essayée de te retrouver sur les réseaux sociaux. J’ai trouvé dans l’annuaire ton numéro de téléphone, j’ai tenté de t’appeler plusieurs fois mais ça n’a jamais décroché, j’ai songé à appeler chez tes parents qui n’avaient pas déménagé, mais je n’ai pas osé. Et puis j’ai fini par trouver une photo de toi où je n’ai pas reconnu la magnifique jeune fille que tu étais, et mon rêve de reviens-y nostalgique est parti en fumée. Mais tu restes ma numéro une à tout jamais. Adeline, ma Valentine.