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Penses-tu encore à moi (12)

J’ai failli t’oublier, dans la liste préparatoire de cette série (ami lecteur, j’ai encore une douzaine d’épisodes en tête). Mais figure-toi que je vais, depuis quelques semaines, régulièrement dans les locaux de mon nouveau client, et figure-toi qu’exactement en face se trouve le restaurant où nous nous sommes donnés rendez-vous pour faire connaissance.

Il y a des bars où j’aime donner rendez-vous pour faire connaissance. Ces lieux, du coup, se chargent dans ma mémoire d’émotions multiples, polygames. Mais ce restaurant n’appartient qu’à toi.
C’était il y a longtemps, et je n’ai guère de trace de nos échanges d’alors (je ne suis pas sûr de l’année exacte, 2005 ou 2006). Je ne sais donc plus pourquoi c’est dans ce quartier que nous nous sommes retrouvés. Ni toi ni moi n’y travaillions. Ni toi ni moi n’habitions ce quartier. Et pourquoi ce restaurant, un peu chic, un peu à l’écart ? J’avais dû le trouver conseillé dans un guide et j’aurais  voulu t’épater un peu ? Ou alors c’est toi qui l’aurais choisi ? Ce serait ton lieu polygame ! Tu étais une femme volontaire, ce n’est pas à exclure.
Je n’ai pas de trace de nos échanges parce que nous nous sommes connus via un site de rencontre aujourd’hui disparu : Love@Lycos (anciennement Spraydate) dont le modèle, à cheval entre le blog, le site de rencontre traditionnel et le site communautaire, était bien plus convivial que ce qu’on pouvait trouver ailleurs. Je ne sais plus comment on s’est approché. Je ne sais plus comment est née l’envie partager de nous rencontrer, mais nous avions rendez-vous ce soir dans ce restaurant, et ce rendez-vous était pour moi « spécial ».
Tu sortais d’une histoire d’amour un peu merdique, tu avais envie de légèreté (tu avais aussi envie d’une histoire sérieuse pour rêver un peu plus fort – la suite me l’a démontré – mais un hors-d’œuvre de mon genre, tu n’étais pas contre) et ça m’allait très bien.
Et puis tu avais quelque chose de très spécial, quelque chose qui n’aurait pas dû être d’important à mes yeux mais qui l’était. Tu étais noire. Je dis que ça n’aurait pas dû compter, que tu sois rose, marron, jaune ou autre, que nous sommes tous citoyens du monde, mais ce serait mentir au nom du politiquement correct. Sorti du boulot, je vis dans un milieu assez peu métissé. La grande majorité de mes fréquentations sont des blancs d’origine française. La liste de mes amantes, déjà fournie, c’était idem à l’époque, à l’exclusion d’une beurette et d’une eurasienne (ami lecteur, tu as deviné que ce seront deux autres épisodes à venir). Autant te dire qu’une Noire, une Black, même pas métisse, c’était sérieusement exotique.
C’était donc encombré par ce sentiment ambigu, culpabilisant (dont je ne t’avais évidemment rien dit), de redouter de te regarder d’abord, avec curiosité, comme un corps de femme habillé d’une peau sombre, plutôt que comme un esprit de femme incarné dans un corps de femme quel qu’il fut, que je suis venu vers toi. Et je me posais cette question pourtant habituelle, mais qui résonnait différemment dans ma tête : allions-nous nous plaire ?

Au moins cette question-là trouva rapidement sa réponse, en tout cas de mon côté : tu m’as plu tout de suite. Tu étais souriante, et ce dîner dont il ne me reste plus que des fragments en mémoire, plutôt des images d’ailleurs, même si ton visage aussi est nimbé de flou, fut vraiment agréable. Tu n’étais plus qu’une femme, tu n’étais plus qu’une femme séduisante et j’avais envie de toi parce que tu étais bandante (tu étais certes une femme noire bandante, je n’avais pas totalement oublié ta couleur) et que la finesse de ton esprit m’avait aussi conquis.Je ne sais pas quels étaient précisément les enjeux de ton côté, mais je pense que nous partagions celui-ci : se rencontrer et espérer que cette rencontre concrétise plutôt qu’elle ne déçoive les espoirs qu’on plaçait en elle.
Cette interrogation trouva une réponse des plus explicites. Une fois sortis, repus, du restaurant, nous avons marché quelques mètres, je t’ai plaqué contre une voiture et nos lèvres se sont trouvées. J’étais dans l’état d’euphorie « habituelle » de ces moments, cet état qui justement nous pousse à déployer tant d’efforts pour y accéder. Dans la tiédeur de cette soirée d’automne (?) 2006 (?), moi, Jérôme, homme blanc, je t’embrassais toi, Camille, femme noire, et je t’avais choisie, et tu m’avais choisi.
Et puis j’ai posé ma main sur ta fesse… Oh putain ! j’ai plaqué mes deux mains sur ton cul de black et il était la parfaite illustration du stéréotype du cul de black, charnu, rebondi, ferme et musclé. J’étais confronté au cliché et mes mains balançaient en live les infos au cerveau ébahi qui concluait « c’est donc vrai ! »
De tous les culs que j’ai eu la chance d’approcher depuis, pas un n’a su faire ressurgir l’émotion procurée par ton exceptionnel postérieur. Nous étions certainement indécents, à nous peloter gloutonnement dans la rue – quelques temps plus tard, j’ai reçu un courriel d’un ami qui me demandait si ce n’était pas moi qu’il avait vu, du côté d’Opéra, embrassant une amie (ce garçon a le sens de la retenue pudique), et c’est à ce jour la seule et unique fois que je me suis fait gauler, heureusement par un ami du côté « off » – mais hélas, ni toi ni moi n’avions la possibilité de prolonger ce premier rendez-vous. Tant mieux pour les partisans du « on ne couche pas le premier soir », tant pis pour les « carpe diem ».
On s’est quittés sur la promesse de proches retrouvailles dans l’intimité d’une chambre.
Mais nous ne nous sommes jamais revus. Nous n’avons pas trouvé le créneau, et puis tu as rencontré un autre homme, un vrai coup de foudre, quelques mois plus tard vous partiez ensemble vous installer à Strasbourg et puis j’ai perdu ta trace, mais pas le souvenir de cette étreinte sur un trottoir parisien.

Penses-tu encore à moi ? Te souviens-tu de cette unique soirée ensemble, de mon envie de toi que tu as si bien sentie ce soir-là, mon envie qui vibrait contre la tienne, de ce désir partagé mais passé par pertes et profits ? Te souviens-tu de ce garçon libertin qui avait su te séduire l’espace d’un instant mais a si vite été effacé par un amour plus dense ? L’as-tu entendu crier en silence son nooooonnnnnnnn d’enfant gâté quand il a vu lui échapper ce joli cul qu’il lui croyait promis ?

Moi, je pense encore à toi, et plus souvent que tu ne le crois. Déjà, parce que je n’ai toujours pas goûté à la femme noire et qu’avec ma peu glorieuse tentation de collectionnite, je suis quand même poursuivi par l’envie de vérifier si ça ne serait pas différent. Ensuite, parce que, comme à chaque fois que je n’ai pas consommé en me disant « attendons demain les circonstances plus favorables » et que les dieux retors anéantissent ces espoirs, je me maudis de ne pas avoir été plus gourmand encore, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! Je pense à toi parce que je suis un nostalgique et que je me suis attaché à toi, si peu croisée, comme je me suis attachée à ces autres femmes que j’ai désirées et dont je fais ici le récit de la rencontre. J’ai perdu tes coordonnées, ta boîte aux lettres s’est effacée, ton numéro de téléphone a changé, ta vie a changé mais pas la mienne. Je suis resté de ce côté du miroir et je pleure toutes celles pour qui la légèreté n’était qu’une étape, une phase, avant autre chose.

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