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Cimetière des amours

Premier chant

La légende dit que quand elle sent sa mort arriver, une histoire d’amour entreprend un long et douloureux voyage dans le cerveau pour aller rejoindre le cimetière des amantes disparues, où elle s’allonge une dernière fois et, dans un ultime soupir, expire.

Deuxième chant

Au cimetière de mes amours défuntes, mon cœur pèlerine avec assiduité. Il y a quelques stèles que je ne fleuris guère, me sentant sans doute coupable d’avoir moi-même tué l’histoire qui repose là, que ce soit de manière brutale (couteau planté dans le cœur) ou plus insidieuse, en n’entretenant pas une relation et la laissant mourir de sa belle mort. « Ni remords, ni regrets »
Mais ce ne sont pas les plus nombreuses : à force de mener ma vie de patachon, il commence à y avoir beaucoup d’histoires mortes dans mon rétroviseur. Et comme je suis – plutôt – du genre à m’attacher, my marchande de chrysanthèmes is rich.

La froide analyse

Un peu trop de disparitions, ces derniers temps, corps & âmes arrachés trop tôt à mon affection.
Alors oui, évidemment, j’imagine que, sur le papier, je n’offre pas un cadre des plus ouverts pour l’épanouissement d’une relation avec moi. Tant que ma partenaire est elle-même en couple, avec des envies d’évasion autorisées ou pas par son propre « contrat » de couple (une situation similaire à la mienne, en somme), il n’y a pas d’obstacle théorique à la longue durée de la relation. La faible disponibilité des deux partenaires fera partie des données initiales, la rareté et la brièveté des moments seront un bon moteur pour leur intensité et si rien ne vient perturber cet équilibre, tout peut rouler pendant longtemps. Il y a aussi ces femmes célibataires, mais qui ne se sentent pas prêtes à s’engager. Soit parce qu’elles sortent tout juste d’une relation où elles étouffaient, soit qu’elles se sentent une soif d’expérimentation, en tout cas elles ne souhaitent pas s’engager dans une relation monogame. Mais déjà, l’équilibre est un peu plus délicat à trouver car même en l’absence d’une volonté d’engagement, même si elles jurent qu’elles veulent rester dans quelque chose de léger, nos disponibilités respectives ne sont pas les mêmes. Là où l’amant voudra tirer profit de ses rares moments de liberté pour s’enivrer de plaisir charnel1, l’amante pourra légitimement se sentir frustrée de ne pas pouvoir partager un moment au restaurant, une visite de musée, une séance au cinéma, un nuit bercée du simple plaisir de sentir vibrante et chaude la peau de l’être désiré, un week-end à Biarritz ou dans une meule de foin.
Plus d’une fois, aussi, j’aurais servi de catalyseur à une séparation2. Le fait est qu’après la séparation faite, ma partenaire se trouve face à un nouveau paradigme dans lequel je ne suis pas forcément présent ; ou bien, dont je suis rapidement éliminé pour la raison précédemment évoqué de « l’évolutivité » (pour parler comme un informaticien) limitée de la relation que je peux nouer. À quelques occasions, je me suis mis à réfléchir sur la possibilité qui m’était offerte de renverser la donne, d’accompagner le changement par mon changement, mais les fois où cela s’est produit, le temps nécessaire à ma décision était trop long par rapport aux attentes en face, et je suis donc resté là où je suis toujours : mon propre couple et ma famille comme invariant, et l’ailleurs en satellite.

Qui trop embrasse mal étreint

Il ne serait pas juste de présenter les motifs pour lesquels je suis rayé de la carte du tendre sans mentionner le fait que j’adopte moi-même un comportement plutôt volage, multipliant les liaisons sans poser de limites claires au nombre de mes amantes, me retrouvant alors fréquemment dans la situation où j’ai moins de temps à offrir que d’envies, obligé de recourir à des calculs d’apothicaire pour choisir à qui j’allais généreusement offrir ma soirée (« Voyons, la dernière fois j’ai vu X et j’ai promis à Y de la voir bientôt, en même temps j’ai très envie du cul de Z » – problèmes de riche). Bref, la réalité est que je ne suis pas volage (je m’attache réellement à mes amantes) mais je ne suis pas en mesure d’accorder mes envies et mes actes, et il est donc compréhensible que j’en paye le prix.

Est-on toujours ensemble ?

Notons qu’en face, la situation est parfois similaire où je ne suis que one of many et, conséquemment, je me suis plusieurs fois retrouvé dans une situation où je n’étais plus guère sollicité par telle amante, moi-même ne la sollicitant plus. J’ai donc dans mon agenda plusieurs numéros de femmes avec qui je n’ai pas couché depuis longtemps, avec qui aucune rupture n’a été prononcée, dont je ne sais pas vraiment si, un jour, se renouera le fil de la liaison ou pas. Il suffit que la situation évolue symétriquement dans le même sens pour que cela reparte de plus belle, ou pour que cette rupture « demi molle », jamais verbalisée, devienne définitive (si ce mot peut avoir un sens ici au-delà du strict éclairage des faits).

Première lamentation (élégie à ma succube)

Imperceptiblement, nos rencontres se sont espacées. Tu as fait une rencontre. Au début, c’était juste un amant de plus dans ta liberté nouvellement conquise, ton envie de vivre plus fort ta sexualité que tu avais trop longtemps mise de côté, pensant que « ça n’était pas ton truc, c’est tout ». Alors que quand je t’ai vue, ma succube, tu avais déjà commencé à t’éveiller – te réveiller – et tu transpirais la sensualité par tous les pores de ton corps gracile et magnétique. J’ai entendu, quand tu me parlais, pourtant très pudiquement, de lui, que tu vivais des choses fortes, de celles qui se démarquent de ce que tu pouvais vivre par ailleurs avec moi ou d’autres dans ton cercle libertin, si raffiné soit-il.
Nous nous sommes revus une dernière fois sans savoir que ce serait la dernière et pourtant tout le disait. L’intensité entre nous deux n’était déjà plus la même. J’ai mis ça, pour me rassurer, sur le compte de mon rhume qui n’avait pas fait briller l’amant magnifique que j’avais pu être avec toi auparavant. Toi, tu devais déjà être un peu ailleurs. Je n’ai même pas fait semblant d’être surpris quand, peu après, tu m’as expliqué être amoureuse et vouloir faire une pause sur « le reste ». La messe était déjà dite. J’étais content pour toi, de cette émotion que tu vivais – pour l’avoir connu je sais combien elle est précieuse – même pas jaloux parce que je n’aurais pas pu être celui-là pour toi, mais un peu triste de t’avoir perdue, le cœur comme un oignon qui aurait perdu une pelure de plus.

Deuxième lamentation (élégie à Thyia)

J’ai commencé à sentir le vent du boulet. Tu avais fait un ménage radical dans tes amants, tu m’avais indiqué alors que tu en avais assez de ces relations sans richesse, où toi-même tu pensais offrir ton cul pour de mauvaises raisons. Hop ! Dehors tout le monde. Sauf moi ! Évidemment, c’était plutôt flatteur. J’ai pris ça – à juste titre, je crois – comme le signe que notre relation avait de la valeur à tes yeux même si elle n’offrait pas beaucoup plus de perspectives que les autres. Mais, sans flatterie aucune, il y avait toujours quelque chose de magique quand nous faisions l’amour ensemble. Un mélange pur de douceur, d’intensité, de plaisir et de lumière. Parfois, le sexe est borderline, on flirte avec une part de folie qui est en nous ; mais avec toi c’était toujours heureux et solaire.
Mais pour autant, je n’étais pas « à plein » dans ta vie. Nous nous sommes retrouvés un temps éloignés, tu as fait une rencontre et tu as voulu t’y consacrer. Moi, j’avais d’autres amantes dans les bras desquelles je trouvais d’autres plaisirs, mais le souvenir de ton rire clair après l’orgasme continue de me hanter.

Dernière lamentation

Ô toi dont je pleure déjà l’absence alors même que tu es présente à mes côtés, tu me confrontes à une nouvelle situation que j’avais jusqu’à présent eu la chance d’éviter : une séparation annoncée, compte à rebours dont il ne me manque que l’échéance (juin, juillet, octobre ?…) mais pas la certitude, puisque tu veux partir, puisque tu vas partir. Non pas pour me fuir mais pour vivre. Alors pour l’heure, nous profitons intensément de chaque moment où nous sommes réunis, je me repais de toi autant que je peux en essayant de ne pas penser à l’échéance.

Oui, ce pourrait être la conclusion ici : toutes ces histoires finissent par trouver une fin. Mais celle-ci peut être bien amère quand les corps se quittent en gardant toujours aussi fort envie l’un de l’autre.

 


Illustration : Elephant graveyard – Marc Vogon (flickr)


  1. Ça n’est pas exactement mon cas, mais je ne voudrais pas présenter la réalité de manière trop flatteuse.
  2. Je ne ressens aucune culpabilité à ce sujet. Je me dis que si ça n’avait pas été moi, ç’aurait été un autre, que le cheminement était préalable à la rencontre ; au pire, je n’aurais fait qu’accélérer le processus. Un catalyseur, donc.
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