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Éroffsphère

Est-ce que j’ai une gueule d’Érosphère ?

La question n’est pas si triviale ! Toujours est-il que, pour la troisième année consécutive, je me rendais au Off du festival Érosphère, un événement très bien résumé par la triple thématique de cette année : douceur, soufre (avec un seul « f », mais libre à vous d’en rajouter un deuxième) et métamorphose. Variations autour de l’érotisme : ludiques, exploratoires, dangereuses, libres, jouissives… On pourrait sans doute compléter par de nombreux autres adjectifs encore.

Le fait est que, si le festival in me fait de l’œil depuis le premier jour (je ne me remets toujours pas d’avoir raté l’immersion oléique de la première édition), je ne participe qu’au off pour deux raisons. La première est que le festival a lieu le week-end et que le week-end est, en principe, réservé à ma vie de famille. La seconde est que le festival tient place comme chaque année en même temps que Rock-en-Seine et en même temps que l’Université d’été du Parti Socialiste. Et que comme chacun sait, chaque année, mon devoir de militant prend le dessus et je vais donc regarder les filles se battre dans la boue de la pelouse de Saint-Cloud.

Le Off d’Érosphère prend de plus en plus de place puisque, cette année, il s’étend sur près d’une semaine. Il commençait samedi par un prodigieux concert de Valérie Mischler dont je parlerai dans un billet dédié si j’en ai le temps, se poursuivait1 par différents événements dont je vous laisse prendre connaissance sur leur site dont la soirée de lancement qui avait lieu mardi soir et dont il sera question ici.

Annoncée pour s’étendre de 19 heures à 21 heures, je la rejoins vers 19 h 30. L’audience est encore clairsemée (j’ignore à ce moment qu’une petite dizaine de festivaliers se sont enfermés pour l’atelier drag-queen/king dans une des salles). Après m’être fait servir un verre de sangria afin de me rafraîchir et me donner une contenance, je balaye l’assistance du regard dans la recherche désespérée d’une tête connue. De fait, je croise quelques personnes dont je suis sûr de les avoir déjà vu quelque part (était-ce à une partouze ? dans un club ? au off d’une des années précédentes – l’hypothèse la plus probable – ? En tout cas, personne dont je connaisse le prénom et avec qui je puisse entamer une conversation légère en mettant de côté ma timidité. C’est la première surprise de ce off. Les années précédentes, j’avais l’impression de connaître (parfois dans l’acception biblique) un quart des participants !

J’en profite pour jeter un œil sur les œuvres exposées. Je reconnais le travail de Laurent Benaïm (que je n’ai pas croisé ce soir) que j’apprécie sans qu’aucune des photos toutefois ne retienne particulièrement mon attention ; je découvre celui de Enora Nòtt dont je trouve l’un des clichés particulièrement émouvant, mettant en lumière l’émotion et la tendresse pouvant illuminer l’acte érotique. Il y a aussi les dessins de Delphine B., agréables, colorés, beaucoup d’énergie qui rayonne, mais pas assez singuliers pour passer mon test subjectif « est-ce que j’accrocherai cette œuvre dans ma chambre ? ». Et je n’accroche pas du tout aux photos extraites de vidéos de la plasticienne Nathalie Mondot.

Nous sommes ensuite conviés à entrer dans une pièce baignée dans la pénombre pour une lecture de Moiselle Pardine, festivalière 2014 devenue animatrice 2015 (n’allez pas croire qu’il s’agit d’une promotion canapé – il n’y a rien d’aussi confortable dans les ateliers de Micadanses), venue nous faire le récit de son expérience passée.  Assis sagement dans un coin sans personne sur mes genoux, tandis que les derniers festivaliers prennent place, je la devine concentrée, tendue, amusée dans son fauteuil œuf, d’où radie la seule lumière qui éclaire la pièce, pour l’instant tourné vers le mur aveugle (mais celui-ci a des oreilles, à n’en pas douter).
Le silence se fait, le fauteuil pivote et Moiselle Pardine s’offre à nos yeux. Petite brune menue, cheveux teints en rouge, vêtue d’une petite robe noire, les genoux repliés sur le côté ; son corps exhale une incroyable énergie et on n’aura aucun doute sur la véracité des aventures, solaires, qu’elle va relater dans un instant. C’est pourtant d’une toute petite voix qu’elle démarre sa lecture et moi qui suis parmi les plus proches  dans l’assistance, je n’ai qu’à peine saisi sa phrase. On l’invite à mettre un peu plus de coffre et quand elle recommence sa lecture, sa voix claire remplit l’espace. Une audience conquise rêve avec elle à l’évocation de la puissance érotique qui s’est dégagée d’elle et des autres participants lors de l’atelier animé par David Noir2. Nous rions du lapsus quand, à l’évocation du sexe féminin qu’elle s’apprêtait à regoûter après 14 ans d’abstinence, elle prononce « cercle visqueux ».

La lecture s’achève et l’assistance rejoint le hall principal où l’atmosphère est de plus en plus chaude (surtout au sens propre, hélas !) comme chaque année. La séance de pince-fesses peut reprendre. J’arrive à négocier un petit coup de cravache sur les miennes de la part de la sémillante Mme Loyale.

J’aperçois enfin Thomas avec qui nous discutons des changements récents de nos vies respectives, avant d’assister à un fameux défilé de drag-queens & kings. Quel dommage qu’ils ne soient pas en carrosse ! Les bascules de chacun dans l’apparence du sexe opposé sont inégalement convaincantes, mais P*** soulève l’enthousiasme grâce l’aisance avec laquelle il (elle ?) évolue sur des talons de 10. Son micheton n’est pas dégueulasse non plus !

L’animation suivante est une « Conférence gesticulée à la fois documentaire, érotique et loufoque sur l’histoire du clitoris, et plus généralement sur l’histoire du plaisir de l’antiquité à nos jours » menée avec beaucoup d’énergie par deux jeunes femmes en provenance de Belgique. Cela manque un peu de finesse et de rythme pour vraiment me convaincre, mais le spectacle a le mérite de rappeler quelques faits troublants sur la façon dont le plaisir (et les organes du plaisir) de la femme ont été considérés au fil de notre histoire jusqu’à récemment.

Re pince-fesses, re-sangria, avant que l’on soit invité à visionner une restitution du festival 2014 sous forme de diaporama des clichés pris sur place par les différents photographes invités. Quelques portraits saisissants. Je retiens aussi la vision sensuelle de ces corps couverts de glaise, ou ces autres corps couvert de boue, de feuilles, de (faux) sangs, en vue de réveiller quelques pulsions animales enfouies.

Vingt et une heures ont sonné depuis longtemps quand nous sommes invités à participer au dernier événement de la soirée, un atelier massage sur fond sonore. Trop impatient de m’y rendre (je ne sais pas encore à ce moment-là quel va être le protocole : est-ce que tout le monde va participer ou pas ?), je rate le début de la présentation qui a lieu dans le hall. Je comprends qu’il va y avoir une ambiance sonore créée en live pendant la séance de massage qui doit durer 30 minutes, ambiance créée à partir de sample de son capturés dans la nature. De fait, on entend, en boucle, le jappement lointain d’un chien ; il ne s’agit pas d’un clebs parisien qui aboie dans une rue voisine. Il est demandé aux personnes qui vont masser de se laisser imprégner par cette ambiance sonore et d’y réagir aussi instinctivement que possible. Clément, le masseur qui pilote l’atelier, nous invite à sortir de notre zone de confort pour cette expérience, comme lui-même va le faire en ne massant pas dans l’environnement confiné auquel il est habitué.

Dans la pièce où va se dérouler l’atelier, plusieurs tapis sont en place au sol, installés en rayon autour d’une table de massage et du poste de travail de notre « DJ ».  Progressivement, les couples masseur-se/massé-e s’installent, tandis que d’autres festivaliers s’installent dans les gradins où moi-même, je trépigne. J’aimerais bien participer, mais je n’ai pas de partenaire. Au loin, j’observe une femme allongée, peut-être attend-elle quelqu’un ou pas. Un autre homme plus audacieux que moi l’aborde – j’observe la scène de loin – mais se fait expliquer posément que la place est déjà prise…

Et puis il y a un dernier appel aux participants. Je décide de postuler et de laisser faire le hasard. Un autre homme est là ; je lui demande s’il veut être masseur ou massé et il émet le souhait d’être massé. Ça me va parfaitement, mais à masser dans un cadre qui ne sera pour moi ni intime, ni érotique, je vais masser un homme que je ne connais pas, que je ne désire pas, mais avec qui nous allons évidemment vivre une expérience sensuelle. Je sors donc clairement de ma zone de confort ! Mon cobaye se met torse nu et s’étend sur le ventre. De toute la séance, son seul mouvement sera de changer de temps à autre la tête de côté. De mon côté, je me suis retroussé les manches et je me suis mis pieds nus. Au centre, l’animateur, vêtu d’un costume zentaï à manches courtes, masse sa créature. Autour de nous, toutes sortes de couples ; des jeunes, des plus âgés ; un ou deux couples de femmes et, de ce que j’ai pu observer, un seul couple d’hommes : mon massé et moi. Certains couples sont entièrement nus, parfois seule la personne massée est nue, ou partiellement dévêtue. La part érotique du massage sera également variable selon les participants, allant du massage très sage au « body body » où la masseuse frotte son corps sur son massé ; un couple installé à deux tapis du mien, dont j’avais noté qu’ils étaient tous deux chauds comme la braise, ira même jusqu’au massage du lingam par le yoni. Certains permutent de rôle au cours de l’atelier, d’autres pas. Mais malgré toutes ces différences, nous sommes tous baignés par la même bande son, tous plongés dans la même atmosphère où de la myrrhe répand son parfum.
Je me concentre sur le corps de mon partenaire, j’essaye de localiser les nœuds que je pourrais détendre, j’expérimente des gestes que je me vois faire pour la première fois mais qui me semblent appropriés à l’instant, j’alterne les gestes rudes avec d’autres plus sensuels, quand je vais par exemple masser son crâne ou sa nuque, ses épaules, ses bras jusqu’aux mains, ou encore ses hanches. Je ne saurais dire si le massage a duré trente minutes – mon impression est que cela a duré plus longtemps – mais à la fin, je transpirais un peu de l’effort.

Je m’accorde un petite pause relaxante tandis que le son est encore diffusé dans la pièce (nous sommes revenus à ses aboiements dans le lointain), avant de me lever, d’aller me laver les mains et de disparaître de cette soirée singulière.

PS : je poste en vitesse cette note depuis mon téléphone pour coller à l’actualité. Je le compléterai au plus vite avec les liens et les illustrations nécessaires.


  1. Enfin, se poursuit au moment où j’écris ces lignes… Si je publie à temps, il vous reste encore quelques secondes pour réagir.
  2. Je vous invite d’ailleurs à lire le texte, très intéressant, que lui-même a écrit autour de sa propre expérience.
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