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La plaisanterie

J’avais pu dire, dans quelques commentaires sur le site NXPL, tout le bien que je pensais du projet « Hysterical literature » de Clayton Cubitt, même si je n’en ai vu que quelques exemplaires et que je n’ai pas cherché à les voir tous.

Le principe en est simple : assise à une table recouverte d’une nappe noire dans un décor dépouillé, une femme lit un passage d’un livre de son choix. Elle est filmée de face, en plan fixe, cadré suffisamment large pour que l’on voie entièrement la table et la femme.
Après quelques minutes de lecture, la protagoniste (initialement, une actrice de porno, je ne sais pas si le casting s’est élargi par la suite) semble d’un coup troublée et, progressivement, on découvre qu’elle tente tant bien que mal de résister au plaisir qui l’assaille pour rester concentrée sur sa lecture, mais c’est peine perdue, la Magic Wand, c’est plus fort que toi ! (puisque c’est effectivement le dispositif : entre ses cuisses, la baguette vibrante qu’on ne voit pas – on ne sait d’ailleurs pas comment elle est activée – provoque inexorablement l’orgasme).

Comme spectateur, je ne suis frustré ni par la sobriété de la mise en scène, ni par le fait qu’aucune chair n’est exhibée. Tout au contraire, je suis infiniment troublé par les vacillements de l’intonation, la chorée qui anime la belle lectrice, le plaisir qui, littéralement, la secoue. Au contraire de la pornographie1, c’est un spectacle érotique où l’explicite fait place à l’implicite, rien n’y est simulé et mon voyeurisme est comblé par les simples contorsions de la pépée sur sa chaise, son sourire, ses grimaces, ses râles ou ses cris de plaisir.

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Nous sommes une centaine de personnes, de chair et d’os, massées autour de la petite estrade qui sert de scène. Dispositif scénique d’une grande sobriété, une planche et deux tréteaux faisant office de table, une grande nappe volée à quelque magicien, elle s’assoit et commence la lecture. Elle a choisi un passage du King Kong Theory de Virginie Despentes. Je ne l’ai pas lu, mais je devine quand même de quoi il s’agit sans avoir vu la couverture. C’est un passage assez virulent. Les mecs en prennent pour leur grade. L’audience est attentive. Moi-même, qui avais cru reconnaître une reconstitution live de cette Hysterical literature, je me laisse happer par l’écoute du texte qui concentre toute mon attention.
Le premier tremblement est à peine perceptible, mais ceux qui sont bien en face, pas trop loin, l’ont remarqué. Le second ne tarde pas à suivre. Notre belle lectrice commence à bafouiller, sa lecture se fait moins fluide et au fur et à mesure que le plaisir l’envahit, elle, le public, lui, s’esclaffe.
Ainsi donc, le même spectacle (ou quasi), trouble, sensuel devant une caméra, était réduit à sa dimension burlesque devant un public présent. De mon côté, j’étais très frustré par l’expérience. Non seulement je ne partageais pas l’envie de rire, mais ce rire généralisé m’empêchait, moi, de glisser du côté de l’émotion. Je voulais entendre dans sa voix les modulations incontrôlées du plaisir, je voulais lire sur son visage son trouble à se donner ainsi en spectacle devant toutes ces personnes – mais elle aussi en riait, car c’était finalement la seule réaction possible, acceptable, dans cette dynamique de groupe.
Nous étions pourtant une centaine de personnes, réunies par notre goût pour une sexualité solaire, créative, ardente, mais devant l’inattendu, nous avons pris le parti d’en rire.

Cela m’a fait penser aux ateliers d’écriture de Flore Cherry, où il s’agit d’écrire en quelques dizaines de minutes un texte sous contraintes. Quasiment systématiquement, j’écris un texte humoristique, car c’est ce qui est le plus impersonnel, le plus fédérateur. Il est très difficile de créer dans ces circonstances de l’émotion érotique (mais certaines personnes talentueuses y arrivent, j’ai pu le constater).


  1. Je n’ai rien contre la pornographie, soit dit en passant.
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