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Baiser, c’est facile. Baiser, c’est difficile.

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Selon les périodes, selon l’humeur, je suis étonné de la difficulté inouïe ou de la simplicité biblique que j’ai à trouver une partenaire pour faire l’amour.

Au moment même où cette note sera publiée, par le truchement de la mise en ligne programmée, je devrais être à la merci d’une femme que j’aurais désirée, qui m’aura désiré, sur la simple promesse d’une possibilité de plaisir que nous aurions à prendre ensemble. Aucune garantie de part et d’autre, bien évidemment. J’ai lu ses mots, et j’y ai vu cette possibilité. Nous ne nous sommes jamais vus avant ce moment où elle entrera dans la chambre d’hôtel où je l’attendrai, et c’est à peine si nous nous serons parlés. Nous faisons chacun le pari doublement fou suivant : que nous avons mutuellement été honnêtes dans nos expressions sur ce que nous étions et que le désir ne sera pas coupé net par la réalité de nos corps. Appelons ça du sexe facile. Pour moi, l’enjeu n’est pas plus mince que si cette rencontre était le fruit d’une cour assidue de plusieurs semaines ou plusieurs mois (qu’on pourrait appeler sexe difficile). Notre dialogue pourrait se résumer ainsi :
— J’aime beaucoup ce que vous faites.
— Oh moi aussi j’aime beaucoup ce que vous faites.
— Je dirais même plus : vous m’excitez !
— Que puis-je répondre, sinon que c’est réciproque, le savez-vous ?
— Bon, on baise ?
— D’acc. Quand ça ?

▪♦▪

Imaginons la même rencontre qui aurait lieu sur une plage. Ce serait comme la fameuse bédé de Reiser, avec le gars qui passe de fille en fille en leur proposant : « Dites, ça vous dirait d’aller tirer un petit coup avec moi à l’hôtel ? ». Le gars se fait rudoyer par des dizaines de filles jusqu’à ce que l’une d’elles accepte. La première femme que l’on avait vue refuser se met alors à regretter « Pfff ! Y’en a une qui a finalement accepté, mais c’est dingue !!! puis Mais elle est nettement moins bien que moi celle-là, et puis il n’était pas si mal que ça ce type, et puis il était franc, direct, pas comme ces dragueurs à deux balles [là, elle se fait accoster par un gars qui lui sort un pathétique Alors, on bronze ? ] » etc.

Non, soyons sérieux. Imaginons la même rencontre sur une plage, pour le pathétique dragueur que je suis. Alors ça me demande un effort d’imagination sérieux parce que je n’ai jamais réussi à draguer quiconque sur une plage. Bon, ça commencerait par de longs échanges de regards. Et puis si j’ai la certitude que c’est bien moi qu’elle me regarde, je trouve un stratagème pour passer à côté d’elle, puis faire une remarque sur ce qu’elle lit (à supposer qu’elle lise quelque chose, un bouquin, un magazine, le mode d’emploi de sa crème solaire, qu’importe).
« Wahou, Kundera, mais j’adôôôre ! Vous avez lu La Plaisanterie ? (ici le titre d’un bouquin lu il y a une vingtaine d’année) et sinon vous faites quoi ce soir ? »
ou alors
« Bigre ! 200 nouvelles grilles de Sudoku niveau 9 ! Terribeul. Vous connaissez l’algorithme de l’espadon ? Je peux vous montrer ça sous ma tente si vous voulez… »

Une fois ce gigantesque premier pas fait, il faut en ajouter quelques dizaines d’autres ; il faudra qu’elle soit disposée à me découvrir, qu’en nous découvrant l’un l’autre on ne se dise pas au bout de dix minutes qu’elle/il était mignon(ne) mais qu’est-ce qu’elle/il est cruche, etc.

Et puis qu’à un moment, quand l’éclairage et l’alcoolémie seront favorables, qu’un des deux se lance et embrasse l’autre, et puis tout ce qui s’en suit.

Il y a des gens qui sont plus à l’aise avec une première approche physique et qui découvrent s’il y a compatibilité intellectuelle par la suite. D’autres pour qui le chemin inverse est plus facile (j’en fais partie, Internet est du pain béni pour moi). Dans un cas comme dans l’autre, on a toujours le risque de commencer sur une bonne impression et de finir sur une mauvaise.

On a également le risque inverse de s’arrêter à une première impression en demi-teinte et de perdre l’occasion de découvrir, si l’on avait un peu plus gratté, un accord moins manifeste.

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Baiser, c’est facile.
Il y a des moments où l’on ne se pose pas trente six questions. On a un désir et on souhaite le vivre, sans trop de calcul, en espérant juste ne pas faire une connerie.

Baiser, c’est difficile.
La plupart du temps, on s’en pose trop, de questions. On tergiverse. On oui-mais. Que va-t-il/elle penser de moi ? Et est-ce qu’il/elle est si bien que ça ? Est-ce qu’il/elle me mérite ? Et puis je ne suis pas si en manque que ça pour baiser avec n’importe qui. Et puis c’est quelque chose de magique, faut pas le galvauder.

Oui, c’est quelque chose de magique.
Baiser, c’est rien du tout.
Baiser, c’est l’infini (on est prié de ne pas citer Céline).

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