Saveur d’autrefois
Je les vois ensemble l’un avec l’autre pour la première fois. Il s’est assis dans un fauteuil, elle s’est accroupie devant lui, son dos s’appuie sur ses jambes et lui laisse négligemment une main reposer sur son épaule. Un contact comme par inadvertance mais qui devient parfois caresse. Elle porte une robe largement décolletée, des petits souliers plats à pois et le charme de sa jeunesse. Lui est mince, habillé tout en noir et – je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser – sa tenue alliée à sa fine moustache m’évoquent Don Diego de la Vega ! Ils ne se croisent pas si souvent, cet homme et son amante (il faudrait dire sa maîtresse, mais je préfère tellement le mot amante), et j’imagine bien l’effort que cela représente pour eux de « se tenir ». Ils s’échappent d’ailleurs une minute pour s’embrasser dans la cuisine. Trouvent un peu plus tard un subterfuge pour s’éclipser tous les deux et puiser, probablement, dans cette parenthèse, matière à leur donner la patience d’attendre plus paisiblement la fin de la soirée.
Ces deux-là s’aiment, à n’en pas douter. Je ne sais pas de quel amour, mais le fil que leurs corps tissent, qui les noue l’un contre l’autre, ce fil-là je le reconnais. Je me suis souvenu de ces soirées avec mes amies et elle où je ne pouvais pas ne pas l’embrasser. Je me suis dit que cette chemise et ce pantalon noirs, j’ai pu en faire aussi ma tenue quand l’infidélité me donnait les ailes que j’ai fini par rogner.
Cécile de Volanges
C’est la deuxième fois que nous sommes, elle et moi, réunis. Elle est vraiment toute jeune, le visage, comme le corps, fin et de très grands yeux aussi ouverts que sa bouche reste fermée. Je ne suis moi-même pas très bavard, la parole est monopolisée par les acteurs clés du projet. Des collègues à moi, des collègues à elle. Nous ne sommes que des seconds couteaux. Ce qui nous laisse le temps d’observer. Alors mes yeux courent sur l’assemblée. J’écoute les participants (je suis, tout de même, un peu ! c’est un projet important sur lequel il va falloir que je fasse mes preuves). Je les regarde, comment ils s’expriment, et je regarde aussi comment les autres auditeurs, eux-mêmes, interagissent silencieusement. Position des mains. Regards.
Et plusieurs fois, bien sûr, je retombe sur ses grands yeux bleus et quand ils croisent les miens, j’ai du mal à soutenir ce regard.
C’est la deuxième réunion et j’ai pris un peu plus d’assurance, je me positionne, j’interviens plus fréquemment.
C’est la deuxième réunion et ses deux yeux me font moins peur que la première fois, alors au lieu de soutenir le regard 0,2 s, je le soutiens une seconde. Difficile de voir dans ce grand regard un intérêt purement professionnel. Alors je me dis que je vais prendre le risque, à tous petits pas, de lui parler avec mes yeux d’autre chose que de planning, de fonctionnalités du progiciel et de plan d’assurance qualité.
Dans une dizaine de jours, à l’occasion d’une formation, nous passerons elle et moi une nuit à l’hôtel.
Dans des chambres différentes, a priori.