Il m’a fallu des années pour réussir à les approcher, gagner leur confiance, être accepté comme un des leurs. Le témoignage que je vous rapporte aujourd’hui est le fruit de ce patient travail d’infiltration.
J’étais donc à une soirée avec des libertins. Il s’agissait, dans le vocabulaire de cette ethnie, d’une soirée dite « verticale », par opposition aux soirées dites « horizontales », c’est-à-dire que les gens sont supposés être debout, éventuellement assis, en train de danser, discuter plaisamment un verre à la main, s’enfiler des mojitos fraise mais pas s’empiler les uns sur les autres en introduisant des membres saillants dans des orifices. Il n’est pas aisé, au premier regard, de faire la différence entre une soirée verticale avec des libertins et une soirée normale de gens normaux. Dans les deux cas, pour peu que la compagnie soit plaisante et que l’alcool coule à flot, on s’amuse bien. C’était le cas. Ça tombait bien, parce que ce soir-là, j’espérais bien m’amuser. J’avais la vague intention de draguer la gueuse si l’occasion m’en était donnée (elle me le fut, mais je ne sus la saisir), mais cela ne m’empêcha pas de passer des heures agréables. Pour ma part, j’avais ingéré une quantité non négligeable de rhum sous différentes formes (toutes liquides, cependant), et afin de rentrer chez moi en scooter en une seule pièce, je baissais le coude et profitais de l’ambiance (vous excuserez mon immodestie légendaire, mais c’était quand même nettement plus cool de danser sur ma musique que sur le hit parade d’Europe 1, millésime 1982). Les heures s’écoulaient, légères, et progressivement, les gens normaux, n’ayant pas la même horloge biologique que les libertins (cf. les travaux publiés par MM. Klitberg et Reddick in Nature n°2836, février 2007) rentraient se coucher paisiblement tandis que les libertins, l’air de rien, attendaient que le dernier indigène s’éclipsât afin de faire basculer subrepticement la soirée en mode horizontal.
Cela se produisit vers 3 h 10 du matin. J’étais paisiblement assis, ou plutôt mollement allongé, sur un canapé entre l’adorable S*** et la non-moins adorable A*** à qui, plus tôt dans la soirée, j’aurais bien fourré la langue dans la bouche pour voir si elle tournait aussi bien que celle de M***, son amoureux ; ç’aurait été l’occasion de montrer que je pouvais parfaitement prendre le rôle de doublure de ma doublure (et là, ami lecteur, je dois avouer que je te confronte à une private joke, t’avais qu’à être à la soirée pour la comprendre). Nonchalamment agenouillé aux pieds de la sémillante A***, G*** entreprit de lui masser les mollets. Ça n’a l’air de rien, un massage de mollet, au début, mais après quelques minutes, l’observateur aguerri que je suis s’est dit que G*** n’avait pas l’intention de s’arrêter à cette caresse amicale. De fait, les caresses de G*** se firent de plus en plus pressantes. Les élégants souliers de A*** (qui ne dissimulaient pas le vernis à ongle de ses orteils – je dirais vert sombre, une couleur sur laquelle je n’aurais pas misé un kopeck mais qui s’avérait des plus seyantes sur l’animale) furent ôtés, et tandis que M*** embrassait fougueusement son aimé, G*** lui retirait son pantalon, jugeant que ce serait plus pratique pour la suite – lui masser les cuisses – comme on en conviendra tantôt.
Je contemplais cette scène avec une fascination certaine, mais très étrangement sans en ressentir la moindre excitation et ni l’envie de participer. Quand mes yeux n’étaient pas braqués sur la scène dont je suivais la progression (la bouche de G*** dévorant le sexe d’A***, la bouche d’A*** engloutissant sans sourciller le sexe de M*** – sans vouloir me vanter il valait mieux que ce soit celui de ma doublure sans quoi le visage d’A*** aurait pu prendre une couleur cramoisie assortie sans doute à son vernis à ongle), je continuais de deviser avec S*** tout en échangeant des regards complices avec les autres observateurs de la scène.
J’avais l’impression que le ballet qui avait lieu à quelques centimètres sur ma droite suivait au cordeau un protocole millénaire : [1] Les deux mâles entourent la femelle de toute leur attention [2] Les deux mâles introduisent successivement leur sexe dans la bouche de la femelle pour le faire gonfler [3] La femelle se prend vite fait bien fait une queue dans la chatte et une bite dans le cul.
Nous en étions là quand je me suis rendu compte qu’il était bien tard, que j’étais fatigué et que les vapeurs d’alcool s’étaient suffisamment dissipées pour que je puisse rentrer chez moi prudemment. En allant chercher mon blouson, à l’étage en dessous, j’ai croisé deux couples nus qui commençaient à s’ébattre. Hélas, ma fatigue aura eu raison de ma rigueur scientifique, je reposais mon crayon d’observateur pour rentrer chez moi retrouver la chaleur de la couette conjugale.
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Je me suis demandé pourquoi, malgré tout l’intérêt que je portais à la scène pornographique que j’avais sous les yeux, malgré le fait que, quand je l’ai vu arriver à cette soirée, j’ai trouvé A*** plus qu’appétissante, je n’éprouvais aucun désir de me mêler à ces corps. Je me sentais seul. Je n’avais personne pour m’accompagner. Ma femme, malgré son récent éveil à la vie érotique, est encore à mille lieues de ce genre de pratiques, O*** n’est plus à mes côtés et je n’ai pas encore d’amante pour prendre le relais. J’ai réalisé que, hormis mes désormais lointaines expériences avec des couples, je suis toujours allé dans les soirées libertines avec une galante compagnie à mes bras. J’en conclus que ce qui me motive avant tout, c’est le plaisir du partage de ces moments-là avec celle qui m’accompagne.
Ou bien que j’étais crevé.