C’est avec M*** que j’avais rêvé, il y a déjà deux ans, d’y aller. C’est elle qui me l’avait proposé, d’ailleurs, mais le temps trop court qu’aura duré notre liaison ne nous aura pas donné l’occasion de mettre l’envie en pratique, et puis nous avions d’autres choses, très belles, à vivre rien qu’à deux.
Arrivée rue Thérèse. Petit problème : ni elle ni moi ne sommes jamais allés sur place et nous n’avons pas noté le numéro dans la rue. Nous croisons quelques hommes seuls, mais pas d’attroupement devant une porte, pas non plus de panonceau pour nous guider. Je finis par repérer cette porte sans inscription avec un peu de lumière derrière. Entre les stores, je finis par apercevoir le nom du club. C’est là ! La porte est ouverte et nous arrivons dans un sas. Un climatiseur pulse de l’air chaud : merci de penser aux femmes qui arrivent ici en plein hiver en tenue souvent assez « légère ».
Entrera, entrera pas ? Les Chandelles sont réputées pour un filtrage parfois sévère à l’entrée. Je ne sais pas si ma tête leur reviendra (je me suis habillé sobrement : costume sombre, chemise noire, pas de cravate), je ne sais pas si A*** qui m’accompagne sera jugée assez sexy pour les standards de la maison. Je me dis que lundi étant une soirée avec hommes seuls, les chances que l’on soit refoulés se réduisent drastiquement. En cas de refus, nous avons d’ores et déjà prévus de nous rabattre sur le Moon City. On a sonné et la porte tarde à s’ouvrir, ce qui nous laisse le temps de gamberger. On sonne une deuxième fois et la porte s’ouvre…
L’homme qui nous accueille doit avoir la trentaine, mince. Il me fait penser à un Indien (d’Amérique). Il toise A*** de haut en bas, une fois son manteau ouvert. Il faut d’autres chaussures pour plaire à la maîtresse des lieux. Je ne suis pas tellement surpris, les talons que porte A*** ne sont pas très « sexy » (selon les critères définis par Bruxelles, norme ISO-6969 et NF-1000-SX). Une autre paire est gracieusement proposée, manquant un peu de distinction à mes yeux, mais aux talons plus fins et plus hauts. (Tout ceci est un peu vain : arrivée en bas, je ne crois pas que ce soient les pieds qui intéressaient le public.)
La descente des marches. À chaque club sa plongée. Je ne sais pour quelle raison, je me faisais une vision assez précise de la disposition des lieux. J’imaginais en bas des marches une grande pièce centrale avec de nombreuses tables sur les côtés et un grand lit au fond. Rien à voir ! Après une longue descente, une première pièce fait office de sas. On y trouve des bonbons et des fruits frais. À gauche, les salons, à droite, le bar et la piste de danse.
Première impression sur la déco : plutôt bonne. Le kitsch est évité. Sur un des murs, un tableau plutôt pop-art représente un joli visage de femme (NB : le tableau est-il connu ? ou la femme qui y figure ? si un commentateur éclairé veut me sortir de mon ignorance crasse, qu’il s’y sente cordialement invité !).
Je commence par apporter au bar la fiche consommation qui nous a été délivrée et j’en profite pour saluer le barman. Est-ce bien Fabien ? Il me répond que oui avec un accent du Sud-Ouest. Je lui transmets le bonsoir de la part d’une amie habituée des lieux où elle plonge dans le stupre du crépuscule à l’aube. Il me répond très cordialement, mais je sens bien qu’il n’éprouve pas le même plaisir de converser que si j’avais été doté de la même paire de seins que mon amie.
Comme à notre habitude, si l’on peut parler d’habitude, nous faisons avec A*** le tour des lieux pour découvrir la configuration du club et « faire des repérages ». Ici, pas de salle pour s’enfermer en petit comité, tout est ouvert et chaque corps qui se dénude s’offre au regard de tous, et pas seulement au regard.
J’ai l’impression d’avoir à mes bras un pot de miel et pendant ce déplacement, nous sommes escortés par plusieurs hommes, comme des mouches. Ils se tiennent à peu près à distance, mais j’ai l’impression qu’ils sont affamés, et cette sensation n’est pas très agréable. Oui, tout à l’heure, quand nous nous installerons quelque part, quand nous entrerons dans le vif du sujet, il sera temps de montrer votre ardeur, messieurs, mais pour l’instant, votre empressement alors que nous sommes en visite de reconnaissance montre un manque de tact doublé d’une absence de perspicacité.
Je ne serai pas très précis dans ma description des lieux. La première piste de baise offre un grand matelas (rond ?) et un petit recoin presque intime : l’entrée est sans porte, mais étroite, et dans cette alcôve aux murs couverts de miroirs, on ne doit pas tenir confortablement à plus de quatre.
La seconde zone, plus vaste, offre trois matelas distribués autour de la pièce, qui aurait plu à Boucle d’Or : un petit, un moyen et un grand. Là, aucun moyen de se mettre à l’écart de la foule (sinon en jouant avec vigilance les gardes chiourmes). Avant cette salle, l’espace des toilettes, assez spacieux et confortable. Je n’y testerai pas les douches, n’ayant pas besoin ce soir de me « décontaminer » avant de rentrer chez moi.
Nous retournons du côté du bar. Une ou deux femmes sont en train de danser sur une musique un peu plus entraînante que celle du No Comment. Quelques hommes seuls sont assis tranquillement et attendent. Quelques couples, aussi. Il y a évidemment des regards qui s’échangent mais rien ne semble encore se jouer.
Pendant tout le temps de la visite, A*** fait également ses « repérages » parmi la faune. Je la sonde : « et celui-ci ? et celui-là ? »
On finit par se poser dans un petit salon juste après le bar. Il y a un jeune couple à côté de nous mais nous ne nous y intéressons pas. Non pas qu’ils ne fussent pas charmants (au contraire, il me semble qu’ils l’étaient tout à fait) mais parce que ce soir, le programme n’est pas à la rencontre en 2×2.
J’ai repéré un jeune homme qui me semble susceptible de plaire à A***. Grand, mince, brun au teint mat (probablement un métis ?), élégant et posé. Après avoir vérifié avec A*** qu’il lui plaisait, je m’approche de lui et l’invite à nous rejoindre. Je prends les précautions d’usage mais pourtant je n’imagine pas un instant que mon invitation pourrait être déclinée. De fait, c’est avec un grand sourire qu’il se glisse à côté de A***.
Nous échangeons quelques banalités de circonstance. Quand des libertins rencontrent des libertins, qu’est-ce qu’ils s’racontent ? Des histoires de libertins ! « Et vous venez souvent ici ? » « Et vous allez dans d’autres clubs ? » etc.
Je commence à caresser A*** et notre compagnon du soir se lance dans mes pas. La température commence doucement à monter.
Au bout de trois minutes trente, l’œuf à la coque est cuit à point. Si l’on attend plus, le jaune perd de sa suavité. Ce serait dommage. Nous décidons donc d’aller tous les trois dans le petit recoin repéré tout à l’heure. On se déshabille tous les trois doucement pendant que d’autres mâles, alléchés par l’action qui démarre enfin, rappliquent prestement. Je les tiens à distance, pendant que A*** s’occupe de son nouvel ami. Je préfère un début « en douceur ». Quelques uns s’en vont en râlant, d’autres profitent du spectacle uniquement avec les yeux. Par la suite, il sera difficile d’empêcher quelques mains voraces de tripoter A***.
Notre trio reste très conventionnel (comprendre : purement hétérosexuel et sans acrobatie particulière au-delà de « une queue dans la chatte et l’autre dans la bouche ».
Plus tard, nous nous rhabillons et allons faire une pause du côté du bar. Nous observons la piste de danse. A*** me dit sa légère déception due à la taille du sexe de notre compagnon jugée insuffisante. (Patience, petite chatte, patience !)
Nous repartons ensuite à l’aventure, de l’autre côté cette fois. Entre temps, le club s’est rempli et l’on croise plusieurs groupes en train de folâtrer. On regarde un peu, les mains se font caressantes sur le corps de A*** qui pourra prétendre, ce soir, au titre de femme la plus charmante de l’assemblée (j’avoue, je ne les ai pas toutes observées). Je pense rétrospectivement à cette histoire de chaussures un peu ridicules. Même avec des bottes de pêche, A*** n’aurait pas été moins (as)saillie.
Nous échouons sur le plus grand des matelas de la deuxième salle. Je commence à m’affairer avec ma partenaire sans vraiment tenir compte de qui s’approche ou pas. Je lui demande juste, régulièrement, si tout se passe bien. Elle confirmera, sauf une fois où j’écarterai alors un des candidats.
À côté de nous, sur un matelas plus étroit un peu en hauteur (comme une estrade), il me semble voir deux couples ensemble (et tant pis pour les hommes seuls). On entend régulièrement des cris et des soupirs s’échapper des gorges des protagonistes.
Progressivement, je m’écarte de A*** pour laisser le champ libre aux autres. Je reste son protecteur, investi de cette mission. J’aime la tendresse de nos gestes (quelques caresses, nos mains qui se serrent) même si elle est un peu en décalage avec la nature de notre relation, très a-sentimentale.
À côté de nous, je remarque qu’un couple est allongé, entouré de nombreux hommes. Plus précisément, une femme est allongée, à genoux, face et buste tournés vers le sol. Dans son sexe, le poing de son partenaire. Je n’ai pas réalisé immédiatement qu’elle se faisait fister. L’homme portait une chemise noire dont la manche s’arrêtait aux fesses de sa partenaire (A***, qui avait quand même pu observer une partie de la scène, me dira plus tard que cette vision l’aura « traumatisé ». En ce qui me concerne, c’est la deuxième fois que j’assiste à un fist ; la première fois j’étais mal à l’aise, également. Cette deuxième fois, je ne ressentais aucune excitation mais j’étais tout de même ému par la façon dont cette femme prenait – visiblement – du plaisir). Après cela, les hommes se succédèrent pour la prendre en levrette. Ils étaient là, queue dressée, à attendre leur tour. Il fallait y aller avec vigueur, les râles de la dame provoquant les commentaires de l’homme adressés aux queues volontaires : « Voilà, tu la baises bien comme il faut, là ! ». J’avais envie de lui tenir la main, à elle aussi, incapable de savoir si le contraste entre cette douceur que je voulais offrir et la rudesse des assauts qu’elle subissait très volontiers aurait été incongrue et déplacée ou bienvenue.
Un couple a réussi à accaparer A***. La femme est une belle brune, l’homme bien fait de sa personne, crâne entièrement rasé. J’ai l’impression qu’ils forment ensemble un couple assez attentionné et je me cantonne dans mon rôle de voyeur. Je n’arrive pas à trouver l’énergie pour être un peu plus acteur de ce que je vis. La contemplation lascive me suffit. Ou plutôt, je m’en contente, parce que je sais que ce n’est pas vraiment dans ces circonstances que je vivrai ce que j’ai envie de vivre (si tant est que je sache le définir !).
À un moment (avant ? après ?), je me suis senti pousser une queue. J’étais juste pieds nus sur le matelas, j’étais resté habillé. J’ai sorti mon sexe en gardant mon pantalon (je l’ai déjà dit, mais je me répète : j’aime bien la sensation de mes habits qui enserrent ma verge) et je me suis approché. J’ai eu le droit à une branlette, mais pas à la fellation que j’espérais (bizarre ! A*** ne lésine généralement pas sur les gâteries !). Un peu frustré, j’ai laissé passer l’excitation et je suis revenu à ma posture d’observateur attentif.
J’ai trouvé, finalement, et bien que les ébats aient duré des heures, que les hommes restaient assez conventionnels dans leur façon de faire l’amour avec les femmes en général et A*** en particulier. Missionnaire et levrette représentent 90 % des positions observées. Je prends aussi le reproche pour moi. Il y aurait pourtant des positions sympathiques et assez adaptées à la fornication en club, comme la balançoire, le boa, le papillon, l’abeille et j’en passe… La prochaine fois, promis, j’innove !
A*** finit par être rassasiée. Nous nous rhabillons (enfin, surtout elle !) et nous repassons au bar. Rapide échange avec un couple à côté de nous, on parle … cocktail et je goûte la spécialité de Fabien : un cocktail de fruits exotiques, sans alcool, qui correspond parfaitement à ce que j’avais envie de boire, justement. C’est pas mal du tout, effectivement, malgré quelques grumeaux de noix de coco !
Je fais un petit tour au buffet où je me régale de quelques fruits frais, pas forcément de saison. N’empêche, pas mauvaises, les cerises ! Rafraîchissantes, les groseilles ! Cela change agréablement des fraises tagada !
Allez, un dernier tour du club pour lui dire au revoir et grappiller encore quelques images à incruster au fond de la rétine.
Lorsque nous remontons, nous remarquons un étage intermédiaire auquel nous n’avions pas prêté attention. Il semble qu’on y trouve la salle fumeur, mais peut-être aussi d’autres lieux de plaisir ? Il faudra profiter d’une autre visite pour les découvrir.
Arrivés à l’accueil, nous récupérons notre vestiaire. A*** échange ses chaussures de vamp contre ses bottines et son numéro de téléphone avec un bel hidalgo. La demoiselle a pris de l’assurance, en quelques semaines, et je n’ai plus besoin de jouer les entremetteurs pour qu’elle transforme un plaisir présent en promesse d’avenir.
Tiens, le sas entre le club et la rue n’est plus chauffé désormais. On ne doit pas attraper froid avant d’entrer aux Chandelles, mais à la sortie, les égards sont moindres ?
Nous trouvons tout de suite un taxi libre pour nous ramener dans notre hôtel au bout du 12e arrondissement. Quelle heure est-il, déjà ? Entre deux heures et trois heures du matin, il me semble.
Même si je suis fatigué et que, surtout, je n’ai devant moi qu’une petite poignée d’heures de sommeil devant moi (j’ai le premier TGV à attraper pour Aix), je suis encore excité. Malheureusement, A*** n’est plus en « état » (elle a vraiment donné de sa personne !). En outre, je respecte sa volonté de ne pas être « collant », même si me tenir à distance de son corps nu est un supplice. Je finis par trouver très difficilement le sommeil, me préparant à une journée de travail comateuse où me viendront par flash quelques images de ces heures vives passées aux Chandelles. À quand la suite ?!
Illustration presque contractuelle : Allan Deas, Orgastic.