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Appétit(s)

Quand j’ai pris, il y a onze ans, la décision d’être franchement adultère, un de mes moteurs était que je ne voulais pas m’aigrir d’envies sans cesse ravalées1. Le problème de ce traitement, c’est la posologie. Au démarrage, ça n’était pas vraiment homéopathique, mais une escapade tous les quinze jours suffisait à faire mon bonheur. Il y avait, avec mes amantes imaginatives, des correspondances avant nos rendez-vous qui faisaient délicieusement monter la tension, et d’autres après pour laisser durer le plaisir, jusqu’à la prochaine rencontre. Je me re-glissais dans le lit conjugal plein d’enthousiasme, injectant dans notre sexualité de couple un peu de renouveau (par exemple, tout simplement, je proposais de nouvelles positions, testées avec bonheur).

Avec le temps, toutefois, et la multiplication des amantes, ce fonctionnement eut un effet pervers que je n’avais pas anticipé : celui de souligner crûment le manque d’appétence de ma femme, plus ou moins perméable à mes propositions en mode « hydratation des couches superficielles de l’épiderme » mais ne remettant rien de fondamental en cause dans son rapport à la sexualité, comparée à la pléthore de femmes pour qui la vie érotique est une terre glaise qu’il convient de travailler, malaxer continuellement comme une œuvre définitivement in progress. Je touchais du doigt un bonheur, peut-être illusoire (car tout le poids de l’ordinaire en était évacué), où le corps à corps érotique faisait partie du dialogue de couple, bonheur qui m’était refusé au quotidien sans que j’entrevoie de possibilité changer cet état de fait, hormis en mettant un terme à ma relation, ce que je me refusais d’envisager.

Il y eut la rencontre avec J***2, arrivant probablement à un moment où ma prudence et ma modération adultères avaient été sabotées par un désir inconscient de « faire bouger les lignes » de mon couple d’une manière ou d’une autre, puis celle avec L*** qui achevèrent ma croyance au dogme de mon couple éternel.
Le doute était entré dans les murs et l’édifice tremblait. Une peur profonde surgit chez ma femme qui lui donna la force d’accepter, et même de vouloir, la thérapie de couple que je lui proposais. Dans les dialogues ouverts par cette thérapie, il y eut une grande absente : mon infidélité. Pour moi, ç’aurait été beaucoup trop violent – et risqué – de la mettre devant le fait accompli. Le but, d’ailleurs, de cette thérapie (pour moi), c’était d’arriver à rendre mon couple aussi auto-suffisant que possible et non d’en renégocier les fondations pour inclure ma sexualité adultère dans ce qui devenait explicitement autorisé, d’aller vers un modèle de couple dit « ouvert » ou « poly-amoureux ». On peut arguer du fait qu’il y a eu manipulation de ma part (avec la complicité tacite de la thérapeute) puisque nous avons travaillé sur une présentation tronquée de ce qu’était réellement notre couple. Mais la thérapie, ce n’est pas le jeu de la vérité. Chacun n’y dit que ce qu’il peut et veut dire, et il est certain que ma femme, de son côté, n’a pas joué la carte de la transparence non plus3.

De notre thérapie, qu’est-ce que je retiens finalement ? Une plus grande écoute de ses soucis à elle, une vie sexuelle un peu relancée (on va dire qu’il s’agit pour elle d’une plus grande écoute de mes soucis à moi), en fréquence en tout cas, et sans doute une plus grand ouverture à quelques nouveautés que j’ai pu apporter : sextoys, même si l’œuf vibrant que je lui ai acheté il y a deux ans n’est jamais sorti de sa boîte parce que son utilisation, pour qu’elle soit ludique selon moi, impliquerait de déplacer l’espace érotique en dehors de notre chambre et qu’elle ne s’y résout pas (si je cherche dans mes souvenirs, il s’avère que j’avais déjà sorti corde et menottes dès les premiers mois de notre amour, aucun pas de géant dont se féliciter en dix-sept ans, donc), et de ce dialogue renoué l’idée de la quitter qui s’est éloignée, qui est sortie du champ des possibles, ce qui me soulageait aussi car je ne me résous pas, de mon côté, à perdre l’harmonie qui règne dans notre foyer et notre famille, en dehors de la chambre à coucher.

La thérapie aura marqué aussi une étape de ma vie adultère. Après l’avoir suspendue un moment, laissant filer L*** avec un regret dont je ne me suis pas défait, pour me tourner sincèrement vers mon couple, et l’ayant relancé quand j’ai saisi que les lignes n’allaient fondamentalement pas changer4, je me suis mis à consommer les aventures de manière un peu plus compulsive, multipliant les amantes pour éviter de recréer un attachement trop fort, comme celui que j’ai eu pour J*** puis L***, et ainsi ne plus mettre en péril mon couple, en gardant mon cœur à la maison et en ne sortant que ma bite et mon couteau (pour être plus proche de la réalité, plutôt que faire des effets de style, il faudrait évidemment nuancer sur la vraie nature du lien que j’entretiens avec chacune de mes amantes, mais après tout vous avez sur quatre ans d’historique de ce burp de nombreux textes pour vous forger votre propre impression). Stratégie plutôt efficace, d’ailleurs ; je n’ai pas eu tellement de mal à trouver des femmes qui, comme moi, avaient envie de relations n’impliquant pas trop d’engagement sentimental. Non seulement des femmes mariées, mais aussi des femmes célibataires, très attachées à leur indépendance, qu’elle soit fraîchement acquise ou déclinée comme mode de vie permanent.

§ § §

Onze ans plus tard, le micro-dosage de mes excursions extra-conjugales, résultant plus de ma vie déjà bien remplie par un métier envahissant et une famille pour laquelle je ne suis pas démobilisé (ceci fait partie notamment de l’écoute mentionnée plus haut) que d’un manque de volontaires pour agripper mes fesses, devient un poids. Me coucher dans un lit trop tiède tient du pensum. Cela fait des mois que je me dis qu’il faut que je rouvre le débat à la maison, sans trouver la force de le faire. J’ai tort, sans doute, de m’imaginer partir perdant d’avance. Des tas de sujets m’éloignent de la sérénité dont j’ai besoin pour me lancer (la mort de mon père l’été dernier, une situation professionnelle qui se trouble ces mois-ci, et autres perturbations aux répercutions plus ou moins fortes mais qui font finalement partie du quotidien…).

C’est sur terreau d’insatisfaction ruminée, de stress que je suis bien forcé de reconnaître à la profondeur de mes cernes que je n’ose pas combler trop régulièrement à coup de Donormyl™ de crainte de m’y accoutumer, que se pointe un ange que la Providence semble m’avoir dessiné sur mesure. Une adorable garçonne aux formes exquises, aimable petite conne à l’esprit délicieusement pervers, avec juste deux fois plus d’étés au compteur que Melody Nelson ce qui m’évitera de me retrouver au poste pour détournement de mineure. Fort heureusement vivant elle aussi en couple et amoureuse. N’empêche. L’équation commence à devenir compliquée à résoudre. Je ne sais même plus ce qu’il faut que j’essaye de négocier pour que ce bordel en équilibre instable s’ordonne en quelque chose qui apparaisse un minimum pérenne.


  1. Oui, l’envie avalée fait m’aigrir.
  2. Je vous invite à replonger dans les prémisses de ce burp, initié au moment où J*** me quittait.
  3. J’ai un exemple très concret de ce que j’avance : avant la thérapie, ma femme m’avait dit ne s’être jamais masturbée. Pendant la thérapie, alors que j’évoquais ce fait – je suis pour ma part convaincu que l’origine de mes malheurs vient d’un malaise très ancien et très profond de ma femme vis-à-vis de la sexualité –, elle a répondu que ce n’était pas forcément vrai, qu’elle considérait simplement que ça ne me regardait pas.
  4. Changer l’autre, cette chimère !
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