(*) Que les latinistes me pardonnent – et surtout me corrigent – si ma tentative de conjugaison a foiré.
La clairvoyance n’empêche malheureusement pas la souffrance quand le malheur qu’on annonçait est soudain là, devant soi, tangible, même drapé du flou de l’incertitude.
Je ne tourne pas en boucle, je ne revis pas deux fois la même chose, mais il y a des similitudes d’une histoire à une autre, et il a fallu que je me retrouve aujourd’hui, dans ce même état nerveux duquel avait accouché mon burp (en mai 2006), pour percevoir des points communs qui m’avaient échappés entre O*** et J***, dans leur façon d’échapper à une histoire quand la passion devient trop menaçante. Se sauver avant d’avoir trop mal. Consciemment ou inconsciemment, se protéger. Changer les règles sans négociation.
J’interprète les actes d’O*** (dont la logique m’échappe – j’essaye donc tant bien que mal que transposer dans mon référentiel sensible) d’une façon qu’O*** infirmerait sans doute. Une façon qui ménage mon ego. O*** s’est donnée à moi sans retenue, comme je me suis donné à elle le jour même où je l’ai rencontrée1. Sourire béat aux lèvres, j’ai déposé à ses pieds mes armes, bouclier, armures, cotte de maille. Sans un regret, j’ai tourné le dos à mon ancienne doctrine (« multiplier les amantes pour éviter de tomber amoureux et de souffrir » – on constate aujourd’hui comme quoi j’apprends de mes erreurs !), sans beaucoup de ménagement (mais avec une once de culpabilité, si, si !) j’ai tourné le dos à mes autres amantes, qui, sans autre contrat que la bienveillance complice de notre relation, m’offraient généreusement tant de plaisir, et je me suis lancé dans une liaison amoureuse qui ne disait pas son nom mais dont la passion transpirait tant des récits offerts ici à votre regard que vos commentaires, amis lecteurs, montraient que vous n’étiez pas dupes.
Il n’a pas fallu longtemps pour que je voie se fissurer le muret de certitudes d’O*** sur son amour pour son compagnon. Assez vite, du haut de ma grande expérience, je jouais les Cassandre. « Dans les scénarios que je me fais, il y en a un qui a la cote, celui où je serais un pont pour toi, qui t’aiderait à traverser de ta vie avec X à autre chose » lui disais-je dès le mois d’avril.
Quelques mois plus tard, la rupture entre O*** et X est effective et, très vite, le grain de sable coince le mécanisme bien huilé de notre relation. Je mets ça sur le compte du choc de sa séparation, mais je ne mesure pas combien l’intensité que je mets dans notre relation lui pèse. C’est un premier coup de semonce quand O*** m’annonce qu’elle se sent – de façon temporaire, mais sans pouvoir être plus précise – non sexuelle. Je serre les dents. J’essaye, tant bien que mal, de ravaler mon désir (pour être franc, je n’y arrive pas vraiment) et d’attendre la fin de cette mauvaise passe.
Les mois qui suivent s’écoulent en dents de scie. Avec des moments d’harmonie formidables, qui me transportent et où je sens O*** si proche de moi, et des moments douloureux où elle devient terriblement distante. Une chose toutefois ne reviendra jamais dans ce nouveau mode de relation, ce sont les témoignages de désir que s’échangent les amants quand ils sont séparés et qui entretiennent la passion, et j’ai dû gérer le manque de nos sextos quasi quotidiens.
Je m’obstine dans ma voie, elle persiste dans la sienne. Je lui dis que je l’aime, elle me dit qu’elle ne m’aime pas. Elle me dit qu’elle veut être libre. Je lui dis que peu m’importe qu’elle vive d’autres histoires ailleurs, puisqu’avec elle, j’ai l’illusion de l’amour (et je ne lui mens pas en disant cela). Mais cette position inégale ne lui convient pas et je comprends que si je continue à faire d’elle ma partenaire unique, je finirai par la perdre complètement. Peut-on se forcer à désirer ailleurs quand on a une amante qui, tel un trou noir, absorbe tous vos désirs2 ? Ami lecteur, pas moins romantique que moi, tu me disais que non en commentaire. Je réponds oui, quand on comprend, profondément, que c’est nécessaire pour se protéger soi même. C’est mon instinct de conservation qui me pousse à, lentement, commencer à retisser des liens dénoués, réveiller des désirs enfouis… Mais cela ne se fait pas d’un simple claquement de doigt, le processus est enclenché mais l’attraction vers O*** ralentit. Je veux rester le favori, ou plutôt je veux qu’O*** reconnaisse cette place particulière que j’ai pour elle. Elle s’y refuse, et chaque attente que j’ai d’elle l’éloigne plus durement encore.
Dans cette période paroxystique, j’entends ses mots tendres qui me disent son affection pour moi, mais aucun mot qui me dit son désir. Je ne peux plus me défaire de l’idée qu’il soit mort, ou sur le point d’expirer, même si de nombreux signes tangibles devraient m’inciter à penser le contraire (je m’imagine alors qu’ils ne sont là que pour me préserver, par bienveillance, d’un chagrin trop brutal). Mais le chagrin est là qui me submerge. Cœur serré toute la journée, sensation de mal-être qui me ruine le sommeil, larmes versées en cachette. Cet état détestable rend d’ailleurs délicates les discussions avec ma femme qui, de son côté, fait l’effort de se projeter dans un futur où elle aimerait un homme devenu adultère, et voit que c’est moi qui suis abattu.
Je me dis que ce sont quelques semaines ou mois pénibles à passer, je me souviens que des petites pilules peuvent m’aider à les traverser, j’espère surtout que très vite je puisse serrer dans mes bras une donzelle toute disposée à me démontrer qu’une partie de baise peut être très jubilatoire même sans O*** (mais hélas dans cette courte période, toutes mes perspectives proches s’évanouissent). Et surtout, je me convaincs qu’O***, comme J***, confrontée à la perspective d’une histoire d’amour avec un homme marié, convaincue qu’elle ne pourrait, à terme, qu’être stérile, fait le même choix de la sacrifier sans même chercher à voir comment la sauver, comme si le combat était perdu d’avance.
Comme si le prix de la victoire ne valait pas ce combat.
J’ai quarante quatre ans, et je pleure ma cinquième histoire d’amour.
Sans doute égaré par la douleur, je me dis que si une sixième occasion se présente, je ferai un gâchis différent pour éviter celui qui s’annoncerait sur l’air de jamais deux sans trois.
- Sans vouloir jouer les oracles à retardement, j’ai eu, le soir de notre rencontre, un pincement au cœur en me demandant comment je réagirais si elle n’était pas tombé sous le charme comme j’avais succombé. Je me suis dit que je serais malheureux si je ne « l’avais » pas. Elle m’a vite rassuré. Vous connaissez (un peu) la suite.↩
- Y compris celui tourné vers ma femme.↩