Je lèche la chatte de Marion. J’ai esquivé en un tournemain son string vermillon, qui était moins une barrière à ma gourmandise qu’une oriflamme de dentelle pour la susciter, et agenouillé à ses pieds, je me délecte de la luxure qui s’écoule de son con glabre. Je reconnais le parfum de ses muqueuses veloutées d’intérieur, réminiscence d’émois récents qui me gorgent la queue de sang. Cela semblerait presque banal : une femme à demi étendue sur un canapé, avec sa petite robe noire retroussée à la taille, qui ouvre les cuisses à la gourmandise d’un homme empressé de la faire jouir pour mieux la baiser. Toutefois, en élargissant le champ au-delà de ce gros plan pornographique, car je ne parle pas de mes doigts qui ouvrent maintenant son intimité moelleuse, quelques particularités s’imposent dans cette scène de genre. Assis par terre, je suis presque entièrement nu, hormis mon caleçon dont la tension voile à peine ma tentation, et surtout mon nœud papillon qui masque encore mes intentions.
Ce nœud papillon incongru, c’est celui du serviteur au premier plan d’une illustration d’Alex Szekely intitulée le buffet dînatoire. Je ne désespère pas de la mettre en scène, bien que Garance ait confondu la posture de soumission avec celle de ce serviteur tandis que je lui servais une coupe de champagne quelques minutes auparavant. Élargissons le plan vers la droite et nous découvrons justement Garance, elle aussi étendue sur le canapé du salon. Elle porte une robe fourreau écarlate qui souligne la finesse de sa ligne, ou plutôt portait ce qui n’est plus qu’une bande de tissu froissée autour de sa taille. Marion n’est pas étrangère à cette débâcle textile, elle en est même l’instigatrice. C’est elle qui a commencé à caresser les jambes de Garance déjà allongée, les paupières closes, telle une belle au bois dormant dans l’attente d’un baiser qu’aucun prince ne pouvait lui donner. Mais au-delà de l’image, il nous faut le son pour comprendre cette langueur. Car étendu derrière Garance et Marion, CUI apporte le contrepoint qui inscrit définitivement cette scène dans un nouveau genre : il lit du Violette Leduc ! Écoutons-le donc nous déclamer Thérèse et Isabelle de sa voix mélodieuse, au timbre ironique du jouisseur souverain dans le luxe inouï des extases imminentes :
Les lèvres se promenaient sur mes lèvres : des pétales m’époussetaient. Mon cœur battait trop haut et je voulais écouter ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait deux notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste.
L’érotisme était latent avant que CUI n’entamât sa lecture. J’étais assis face à eux dans un autre canapé, à côté de 502 qui discutait avec Polymnie. J’observais du coin de l’œil l’abordage des éventuels futurs amants, soupesant l’opportunité d’aller aussi m’asseoir auprès de Polymnie et le risque d’être inopportun. J’optai finalement pour m’installer aux pieds de Marion, car en plus du plaisir de laisser glisser mes doigts tout au long de ses bas, je jouissais aussi d’une vue plongeante sous la robe de Garance, qui ne portait effectivement pas de culotte. J’aurais pu convertir le petit jeu d’humiliation qu’elle m’avait fait subir en désir de l’empaler au pilori de ma verge, mais je n’ai pas le vit vindicatif. Louize aura compris, un peu plus tard dans la soirée, que je souhaitais éprouver le plaisir d’être un objet de désir, relativement passif à cause de ma fonction sans pour autant être soumis. Mais laissons donc le futur antérieur au bénéfice du présent : je lèche la chatte de Marion qui dandine du bassin sous ma langue. Carpe Diem.
Traveling latéral panoramique vers la droite. J’abandonne un instant mon cunnilingus pour observer Marion œuvrer entre les cuisses de Garance. Elle doigte doucement son amante tout en plaquant sa bouche contre la vulve indolente. Garance en soupire d’aise. Juste derrière ses cheveux blonds, à l’autre extrémité de la banquette, Thomas caresse le visage de la belle alanguie, descend jusqu’à son décolleté, en extrait deux seins pointus, remonte vers les lèvres entrouvertes qui happent les doigts au passage et les sucent langoureusement. Le plaisir se propage jusqu’à l’inattendu. Un peu plus loin vers la droite, Polymnie et 502 se tripotent tandis que Camille nous regarde, incrédule, ses yeux écarquillés fixés sur son amant déclamant Violette Leduc. L’image de Néron face à Rome en flammes me traverse l’esprit. Après tout, n’a-t-il pas allumé l’incendie qui désormais nous ravage ?
Camille trépigne d’impatience et quitte la pièce. Ses talons claquent sur le parquet. CUI ne nous conte plus Violette et s’esquive à son tour. Nous entendrons bientôt gémir de plaisir les deux amants depuis la mezzanine. Garance s’est embrasée. Les vêtements volent. Je prends un peu de recul pour apprécier la scène, et aussi par crainte d’être désormais importun auprès des deux femmes déchaînées.
« Viens Cléante ! »
Marion m’appelle et j’accours. Elle me caresse et je l’embrasse. Elle ôte mon boxer et je bande comme un âne. Je monte sur le dossier, elle gobe ma verge raide, mon gland vermillon disparaît entre ses lèvres, ressort luisant de salive, pénètre encore sa bouche. Elle me pompe lentement, tout en douceur, sans frénésie, de sorte que cela dure longtemps. Depuis le plateau de mon plaisir, je regarde en bas, à l’horizon du pubis de Marion, les yeux bleus de Garance qui nous observent. Je tends le bras, attrape Thérèse et Isabelle et je lis au hasard.
Le 16 janvier 1852, Flaubert écrivait à Louise Colet une phrase désormais restée célèbre : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. » Moi, ce que je voudrais faire, c’est un texte érotique dénué de contexte, ou tout au moins sans ces longs et ennuyeux préliminaires plus propices à refroidir les ardeurs qu’à instiller le désir. On lirait la première phrase et on serait déjà dans l’action. Il ne s’agirait pas d’écrire une bête pornographie sans la moindre profondeur, mais de dissoudre l’intelligence dans le sexe, d’avoir l’assurance des effets érotiques escomptés en prenant le texte par le début, et la certitude de ne pas tomber sur ce genre de paragraphe en le lisant au hasard.
Je n’ai pas terminé de lire ma phrase qu’elle est accueillie par un immense éclat de rire. Le comique résulte du basculement de l’ordre logique vers l’absurde, et le rire marque cette rupture. Ce rire général sonne d’ailleurs le glas de ces ébats si prometteurs, tout comme mon pompeux paragraphe sur Flaubert termine ce texte en débandade. Ce n’est que reculer pour mieux sauter.