Site icon Comme une image

En chair et en noces – le récit de 502

Lorsque Cui me convia à cette soirée, je me dis que c’était vraiment un excellente occasion de trouver enfin une épouse. Ceux et celle qui jadis lisaient mes billets de blog solides comme l’ennui, savent bien que je passe ma vie à mettre en danger mon honneur, en péril ma jeunesse et qu’il est grand temps pour moi de devenir un bâtisseur, de fonder un foyer et de me marier. C’est probablement pour cette raison que Cui m’invita.

Pour me donner du courage face à l’adversité, juste avant d’arriver, j’ai relu dans le métro, (à voix haute), le petit fascicule de l’Armée du salut sur le mariage. Il n’y avait aucune raison de renoncer, c’était même plutôt encourageant : « le péché qui s’est glissé entre Adam et Eve menace à chaque instant la plus parfaite des unions conjugales ». L’affaire se présentait donc finalement plutôt bien : « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur » (Éphésiens 5, 22)… même si je regrettais que ce soit un autre, le « Seigneur ».
Devant la porte, un tourment me traversa : Se pourrait-il que je me marie avec une délurée ? Mais c’était comme s’il n’y avait pas de réponse, dans tout l’univers, à une telle question, comme si la langue des hommes et des femmes s’était épuisée, tarie. Bordel !
Je sonne, je monte. Évidemment, des jours durant, j’avais pris soin de lire et relire le Yu-fang-pi-kiue, grand manuel de physiognomonie chinoise, qui délivre toute la sagesse de l’orient sur une série de questions de malheur comme celle du choix de l’épouse. Dans ce livre, il est formellement déconseillé de se marier avec une femme qui a la voix trop masculine, le ventre dérangé, la peau rêche, les poils du pubis raides, un trop long nez. De même, il faut à tout prix éviter de prendre pour épouse les femmes qui ont du goût pour les hommes de bas étage, celles qui sont très maigres, celles encore qui ont les os forts et durs, la pomme d’Adam proéminente ou bien la chevelure jaunâtre ou ébouriffée. Bien sûr, les femmes trop souffreteuses sont à fuir également pour fonder une maisonnée. Le Yu-fang-pi-kiue est formel : un homme ne doit pas s’accoupler avec de telles femmes sous peine d’être dépouillé de sa vigueur.

J’avise Polymnie, belle comme le premier jour, qui n’avait évidemment aucun de ces graves défauts. Après ce que nous nommerons ici pudiquement les salutations d’usage, je la demande en mariage, non sans lui demander également si elle est plutôt de celles qui guident le feu dans la forêt ou de celles qui ramènent l’eau à la source. Polymnie, si tu me lis, sache que je comprends que tu aies été un peu démobilisée. Quoi qu’il en soit, au moment où elle allait me donner sa réponse (oui mon mignon ou non connard), une voix mélancolique de griot sahélien s’éleva, C’était Cui qui s’était mis à lire en public. Polymnie était captivée. Impossible dans ces conditions de se promettre en mariage.
J’avise alors Louize, belle comme un rêve. Conscient qu’il ne fallait pas demander sa main trop vite, je l’aborde en ces termes fort choisis : « et je sens sur mon cœur le reflet bleu de votre gorge blanche », comme si j’étais Titus s’adressant à Bérénice. Après un long échange de politesses sophistiquées et non sans avoir relégué dans l’oubli notre éducation anglaise nous voici au milieu d’une orgie du diable à discuter sérieusement du mariage.
C’est qu’il n’était pas question de se marier à la légère… Certaines sociétés pratiquent la dot et d’autres pratiquent le prix de la fiancée. Il s’agit de deux formes de prestations matrimoniales dont le flux est inversé. Que choisir ? Avec la dot, le flux va des parents de l’épouse au mari. J’ai un net penchant pour cette formule. Avec le prix de la fiancée, le flux va de la famille de l’époux aux parents de l’épouse. Louize préférait cette pratique et n’en démordait pas, même si personnellement, je trouve ça assez vieillot.

C’est une sacrée question, d’autant plus complexe qu’on voit parfois l’institution dotale – dans la longue durée – être peu à peu remplacée par son contraire. En dire un peu plus permet de montrer quel serait l’enfer d’une nuit de noces avec moi ou même d’une simple soirée entre amis sans la moindre débauche. Dans la Grèce antique, la dot a succédé au prix de la fiancée. Dans la Rome antique, c’est l’inverse : la République pratiquait la dot mais celles-ci a peu à peu été remplacée par le prix de la fiancée. Pas d’inquiétude pour autant : la dot réapparaitra, beaucoup plus tard, dans les vieilles cités italiennes.

Malheureusement, Louize m’obligea à admettre que la dot est très minoritaire dans le monde. Elle n’est attestée qu’en Europe (où elle n’a disparue que depuis quelques générations, et encore pas partout puisqu’elle peut par exemple subsister en Grèce), dans une partie de l’Inde, au Tibet, en Birmanie et en Chine. Partout ailleurs, il faut racker comme un gueux : l’institution majoritaire est le prix de la fiancée.

C’est alors que la vue du sexe impeccable et fier de Cléante me fit entrevoir une solution de compromis. OK pour le prix de la fiancée, mais alors « marions-nous chez les Isawaghen d’In Gall » (qui sont des Touaregs) lui dis-je comme Henri Fonda à Claudia Cardinale. Pour le premier mariage d’un enfant, c’est la famille qui donne. S’il est riche, le père donne trois chameaux ; s’il est moins riche, deux ou même seulement un. On peut aussi remplacer les chameaux par des dattiers ou des petits bassins salants mais dans un appartement parisien, c’est moins pratique. On pourra laisser le chameau chez Thomas en attendant.

Bref, ce sont mes parents qui paieront. J’aurai juste à m’acquitter des cadeaux suivants pour Louize : quatre pagnes : un de satin noir, deux bleu bazin, un noir (pas d’affolement lui précisais-je, il s’agit d’un « pagne noir »)… Et aussi deux blouses blanches (!), deux blouses noires, six turkudi (tissu indigo de luxe, c’est un terme haoussa), deux paires de sandales, parfum, pommades, poudres. J’ai déjà acheté la poudre. Au bout d’un certain temps, je pourrai considérer mon beau-père comme mon père. Et alors je pourrai l’appeler Baba.

J’étais ravi mais voilà que Louize était déjà repartie dans les bras d’un autre homme. Une femme qui jouit dans les bras d’un autre alors que son futur mari lui explique le rituel de la demande en mariage, voilà bien une épouse idéale ! Je lui expliquais la suite pendant qu’elle se faisait magnifiquement branler : « C’est le marabout (Thomas) qui sera chargé d’aller voir tes parents et de porter ma demande. Il a la classe et fait des circonlocutions. Tes parents répondent : « Nous ne voulons pas manger la tête du bonheur. Nous l’attrapons avec les dix doigts ». C’est beau, même si là, c’était plutôt Louize qui se faisait attraper avec dix doigts. Bref, à la fin, le père de la fiancée prononce cette sentence fatale à mon intention : « Nous te donnons le mariage, prends patience. Si tu patientes sur elle, elle patiente aussi sur toi ». C’est la vérité nue. C’est cela qui nous dissuada. Patienter l’un sur l’autre, c’était pas notre truc.

Je suis rentré chez moi avec mes deux alliances, mais j’avais passé une soirée qui ferait le bruit d’une pièce d’or si on pouvait la jeter par terre au milieu des cailloux.

Quitter la version mobile