Lorsque Cui me convia à cette soirée, je me dis que c’était vraiment un excellente occasion de trouver enfin une épouse. Ceux et celle qui jadis lisaient mes billets de blog solides comme l’ennui, savent bien que je passe ma vie à mettre en danger mon honneur, en péril ma jeunesse et qu’il est grand temps pour moi de devenir un bâtisseur, de fonder un foyer et de me marier. C’est probablement pour cette raison que Cui m’invita.
C’est une sacrée question, d’autant plus complexe qu’on voit parfois l’institution dotale – dans la longue durée – être peu à peu remplacée par son contraire. En dire un peu plus permet de montrer quel serait l’enfer d’une nuit de noces avec moi ou même d’une simple soirée entre amis sans la moindre débauche. Dans la Grèce antique, la dot a succédé au prix de la fiancée. Dans la Rome antique, c’est l’inverse : la République pratiquait la dot mais celles-ci a peu à peu été remplacée par le prix de la fiancée. Pas d’inquiétude pour autant : la dot réapparaitra, beaucoup plus tard, dans les vieilles cités italiennes.
Malheureusement, Louize m’obligea à admettre que la dot est très minoritaire dans le monde. Elle n’est attestée qu’en Europe (où elle n’a disparue que depuis quelques générations, et encore pas partout puisqu’elle peut par exemple subsister en Grèce), dans une partie de l’Inde, au Tibet, en Birmanie et en Chine. Partout ailleurs, il faut racker comme un gueux : l’institution majoritaire est le prix de la fiancée.
C’est alors que la vue du sexe impeccable et fier de Cléante me fit entrevoir une solution de compromis. OK pour le prix de la fiancée, mais alors « marions-nous chez les Isawaghen d’In Gall » (qui sont des Touaregs) lui dis-je comme Henri Fonda à Claudia Cardinale. Pour le premier mariage d’un enfant, c’est la famille qui donne. S’il est riche, le père donne trois chameaux ; s’il est moins riche, deux ou même seulement un. On peut aussi remplacer les chameaux par des dattiers ou des petits bassins salants mais dans un appartement parisien, c’est moins pratique. On pourra laisser le chameau chez Thomas en attendant.
Bref, ce sont mes parents qui paieront. J’aurai juste à m’acquitter des cadeaux suivants pour Louize : quatre pagnes : un de satin noir, deux bleu bazin, un noir (pas d’affolement lui précisais-je, il s’agit d’un « pagne noir »)… Et aussi deux blouses blanches (!), deux blouses noires, six turkudi (tissu indigo de luxe, c’est un terme haoussa), deux paires de sandales, parfum, pommades, poudres. J’ai déjà acheté la poudre. Au bout d’un certain temps, je pourrai considérer mon beau-père comme mon père. Et alors je pourrai l’appeler Baba.
J’étais ravi mais voilà que Louize était déjà repartie dans les bras d’un autre homme. Une femme qui jouit dans les bras d’un autre alors que son futur mari lui explique le rituel de la demande en mariage, voilà bien une épouse idéale ! Je lui expliquais la suite pendant qu’elle se faisait magnifiquement branler : « C’est le marabout (Thomas) qui sera chargé d’aller voir tes parents et de porter ma demande. Il a la classe et fait des circonlocutions. Tes parents répondent : « Nous ne voulons pas manger la tête du bonheur. Nous l’attrapons avec les dix doigts ». C’est beau, même si là, c’était plutôt Louize qui se faisait attraper avec dix doigts. Bref, à la fin, le père de la fiancée prononce cette sentence fatale à mon intention : « Nous te donnons le mariage, prends patience. Si tu patientes sur elle, elle patiente aussi sur toi ». C’est la vérité nue. C’est cela qui nous dissuada. Patienter l’un sur l’autre, c’était pas notre truc.
Je suis rentré chez moi avec mes deux alliances, mais j’avais passé une soirée qui ferait le bruit d’une pièce d’or si on pouvait la jeter par terre au milieu des cailloux.