Dès l’adolescence (et peut-être même un peu avant), je portais en moi cette ambivalence : le bon élève, propre sur lui, mais qui rêve d’intégrer le groupe des bad boys and girls, de ceux qui se prennent des torgnoles en maths mais qui fument dans leur soirée (pas que du tabac) en écoutant de la musique branchée, de ceux qui font des conneries quand les adultes ont le dos tourné.
Des conneries, j’en ai fait. J’ai escaladé à main nue les murs de ma résidence, premier, deuxième, troisième étage et le vide en dessous, j’ai piqué de l’argent aux parents de voisins et des trucs idiots au Monoprix du coin, j’ai pris le bus tout seul pour aller explorer Paris, d’autres trucs encore. Mais c’était facile à faire puisque je le faisais seul. Alors que pour rejoindre une bande, il faut que la bande t’accepte, toi, avec ton allure de premier de classe qui ne colle pas avec la nôtre.

Je suis un mâle blanc cis quinqua CSP+1, en couple hétéro depuis trente ans, avec ses enfants, son pavillon de banlieue, je n’ai ni tatouage, ni piercing, je laisse mes cheveux se teindre progressivement en gris, je porte des jeans et, de dos, on me reconnaît : je suis monsieur-tout-le-monde.
Je dois attendre la nuit, la clandestinité, pour offrir, l’espace de quelques toujours trop courtes heures, à cette autre facette la possibilité d’émettre son faible éclat.
Je viens ici quémander, ô peuple queer, mon inclusion dans ton groupe bigarré. Oublie la photo que je viens d’esquisser, regarde plutôt…
Déjà, je ne suis pas le mâl·e absolu, tu as vu, j’ai dit cis et pas l’infamant cishet qui te classe direct dans la catégorie des sur-privilégiés qu’on entend trop. Je suis bi.
Ptête même pan, tiens, mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’éprouver dans le concret mes attirances vers des trans (il y avait quand même cette jolie brune en transition que j’aurais bien coincée mais qui n’était pas intéressée par les garçons).
Mais franchement (je ne devrais pas dire ça ici, alors que je mendie ta reconnaissance), être bi ne m’a jamais exposé à la moindre oppression, car je ne nommerai pas oppression le fait que quelques nanas mal câblées m’envoient balader parce qu’elles trouvent dégueulasses que des mecs puissent sucer des queues en plus de baiser des chattes.
Bon, quoi d’autre ?
Euh…
Je porte des combinaisons résille, j’aime bien mettre du mascara, je vote à gauche, j’adore me faire cheviller (mais ça reste une pratique hétéro, vu de mon point de cul), j’ai une chemise à fleur et un kilt en cuir, j’écoute des podcasts féministes.
(J’espère que ça va suffire.)

Notre illustration : CUI (CUI) est énervé et ne sait parler qu’avec sa bite.
- Je pense qu’il est important de ne pas oublier, dans nos luttes, la lutte des classes : probablement la plus grande inégalité sociale est là.↩
Je trouve ton texte touchant…. je n’ai pas envie d’écrire ce soir, mais je trouve ce « aucun gazouillis » soudainement injuste.
Je t’embrasse mâle blanc cis quinqua CSP+1, en couple hétéro.
(tu suces des queues ? Pouah… trop dégueu. ^^)
Cette espèce de coming-out m’étonne : pour ceux qui te lisent, toutes ces infos étaient déjà connues. Mais bon, parfois expliciter les choses c’est bien aussi ;-)
Adoubé !!!
@rose » Merci d’être présente, vraiment !
@amandilh » Désolé de radoter… mais oui, j’avais envie de faire un petit état des lieux à l’occasion.
@patrick » Notre seigneur est bien bon, et son épée est … (je m’égare…)
Je crois qu’il vaut mieux être libre à plusieurs facettes que de faire partie d’une bande, enfermé dans ses codes.
@Cristophe » Je pense qu’on est tous·tes comme ça, non, avec plusieurs facettes, et plus ou moins enfermé·es dans chacune d’entre elles (par exemple, ai-je une grande marge de liberté dans ma facette professionnelle ? bof…)
Ma cousine, la fameuse Marie Q., trouve votre texte affreusement décadent alors que moi, je le trouve attendrissant, désarmant, délicat et curieusement j’éprouve même à sa lecture un peu de tristesse.
Il suscite une question : vous êtes vous demandé si une vie uniquement composée de la facette « queer et libertine » vous aurait rendu plus heureux, plus apaisé?
… Je suppose que non.
Alors, si vous vouliez faire plaisir à l’incorrigible optimiste Bécassine que je suis, vous reprendriez votre plume pour rédiger une version positive de ce doux texte qui cette fois célébrerait la chance / (peut-être) le bonheur d’avoir réussi l’exploit (malgré les hauts, les bas, les difficultés que l’on traverse tous) d’explorer ces deux facettes, de faire en quelque sorte coexister ces deux mondes.
Chère Bécassine,
Je crois que mon texte est tout ce que vous y avez lu, votre cousine (fameuse ?! présentez-la moi donc !), vous, et les autres lecteur·trices : un peu de nostalgie amère, mais aussi une certaine acuité sur le chemin parcouru.
On ne change pas le passé, on le traîne avec nos regrets et nos remords, mais il ne faut pas que cette charge soit un fardeau qui vous empêche d’avancer sur le chemin de l’épanouissement, et c’est surtout ce chemin dont il est question au sein de mon burp. Est-il vraiment nécessaire d’écrire « une version positive » de ce texte ? N’y en a-t-il pas déjà des tas, qui fleurissent ici et là ?
Tiens, par exemple, celui-ci que j’exhume de mes archives !
… On m’a fait part de votre fiévreuse impatience, cher Monsieur Qui, je m’empresse dès potron-minet donc de me manifester.
Ma cousine semble vous intriguer. Marie Quillouch, que j’évoquais rapidement dans le message précédent, est surtout connue pour sa venimosité. Autant ne pas s’attarder. A moins que ce ne soit une de vos connaissances. J’en serais affligée.
Vous maîtrisez, Monsieur Qui, l’art de l’esquive mais ne contentez pas ma saine et bienveillante curiosité. Et je suis sincèrement désolée que vous « trainiez » votre passé comme le bagnard son boulet.
J’ai aussi lu avec intérêt le bulletin dont vous avez si gentiment partagé le lien et je tenais à vous faire part de mon désarroi. J’y ai vu le catalogue suranné, de rencontres, de déceptions mais de positivité : Que nenni ! (Ou si peu).
Le réécriture du texte ci-dessus dans une version enthousiaste s’impose donc comme un exercice plus que salutaire.
Au travail ! … Et au plaisir de vous lire !