Vendredi, la France jouait son premier match de l’Euro 2016 contre la Roumanie au Stade de France. Dans les rues, on pouvait croiser quelques hordes de supporters habillés de pied en cap(e) aux couleurs de leur pays, convergeant vers les fanzones ou un bar. Moi, je rejoignais Camille à l’arrivée de son RER pour traverser Paris sur mon scooter, blouson entr’ouvert sur une chemise aux manches retroussées, fendant l’air à la température idéale pour oublier, un moment durant, cette fin de printemps humide et grise. Il fait beau, ce soir.
Nous allions dans un bar, nous aussi, mais un bar sans écran de télé, rejoindre Monsieur Chapeau, son 44e apéro libertin, et quelques autres ami·e·s, amantes ou ex-amantes, connaissances, vu·e·s la semaine dernière, il y a un ou deux mois, il y a plus d’un an, ou jamais croisé·e·s encore. Bref, sociabiliser « horizontalement » entre amateurs de soirées « verticales ».
À la soirée au bar succède désormais presque toujours une after en club. Sur ce sujet, mon impression, pour moi qui n’ai participé qu’en pointillés irrégulièrement espacés à ces apéros, c’est que les rencontres qu’il permettait faisaient naître l’envie d’une suite plus sexuelle que l’espace du bar ne permettait (et n’autorisait) pas ; que cette organisation d’after, d’abord spontanée, irrégulière et impromptue s’est faite régulière et s’est désormais ritualisée.
Ce soir, il était prévu une after à l’Éclipse, donc, mon club préféré, mais je n’avais pas prévu d’y aller. Camille, qui m’accompagnait, devait rentrer relativement tôt chez elle. Elle ne pourrait donc pas être ma cavalière. Sur place, il y aurait aussi Lucia, une autre amante. Et Éric, son amant avec qui elle vit une relation tempétueuse, qui semble se terminer, mais entre passion et détestation, elle est agitée de soubresauts. J’avais proposé à Lucia de nous éclipser (ah ah) tous les deux si elle voulait échapper aux griffes d’Éric qui la voulait comme cavalière pour l’after. Mais l’affaire n’était évidemment pas pliée, compte tenu des circonstances et j’imaginais Éric peu enclin à laisser passivement Lucia échapper à son emprise.
Peu m’importait, en fait. La soirée était belle, le vin était frais, l’air était tiède, je voulais profiter de la soirée et cueillir ce qui serait à cueillir : pour l’instant, c’était le plaisir de converser avec ma belle, ou quelques ami·e·s dont certains pas croisé·e·s depuis des lustres (coucou, Vintage !), ou encore faire connaissance avec de nouvelles personnes (par exemple, une connexion de Twitter dont les goûts musicaux m’avaient donné envie de poser un visage sur un pseudo). Le lendemain, une grande et longue soirée m’attendait ; même si j’étais libre ce soir de rentrer à l’heure qui me chantait, je ne m’étais pas fixé comme objectif de m’envoyer en l’air à tout prix.
J’alternais entre l’intérieur du bar où l’essentiel de la population était rassemblée (sans oublier les deux demoiselles du bar toujours disposées à remplir les verres vides moyennant le délestage de quelques pièces) et l’extérieur pour rejoindre les fumeurs ou leurs accompagnateurs, en particulier Camille. Là, j’apercevais une jolie jeune femme, adossée au mur dans une robe noire un peu transparente, une paire de béquilles à ses côtés (ceci expliquant sans doute cela). À ses lèvres, un léger sourire dirigé dans le vague, et personne à qui l’adresser. Je m’approchais et, comme son visage me semblait familier sans que je susse1, peu physionomiste que je suis, où et quand j’avais pu la croiser (un précédent apéro ou à je-ne-sais quelle fête de dépravés ?), je lui lançai :
— On ne se serait pas déjà vus quelque part ?
L’incongruité de ma question la fit rire. Non, elle ne me connaissait pas, c’était la première fois qu’elle venait à l’apéro et n’avait jamais fréquenté aucun milieu interlope. Sara2 s’était « documentée » sur Internet et avait trouvé que cet apéro était une bonne occasion de rencontrer des gens partageant une vision de la sexualité, sinon identique, du moins compatible avec la sienne. La conversation lancée, nous fûmes rapidement rejoint par d’autres participants. Un couple nous explique le modèle dans lequel ils ont trouvé leur équilibre, ce qui l’intéresse vivement.
Un peu plus tard, je croisais un charmant jeune homme, italien, dont le prénom m’échappe, et qui semblait être parmi nous pour le seul plaisir de la conversation ; ce fut assez amusant – mais pas si surprenant – de le recroiser, 24 heures plus tard, devant l’entrée de l’établissement où nous allions passer ensemble la belle soirée évoquée tout à l’heure.
Sur les coups de 22 heures, tandis qu’une partie de notre aréopage libertin s’était assise à table pour dîner, tandis que d’autres se contentaient de siroter leur verre dans l’air printanier, j’enfourchais avec Camille mon scooter pour l’amener, un peu plus loin dans Paris, attraper le RER qui la ramènerait chez elle, après avoir promis à tous que je reviendrais aussi vite que possible. Camille regrettait bien sûr de devoir nous quitter, mais cette séparation prématurée était tempérée par la perspective de nous retrouver le lendemain. Euro oblige, les rues étaient presque vides, ce qui rendit le trajet très agréable, Camille blottie contre moi, n’ayant pas à redouter le gymkhana habituel dans Paris embouteillée. Nous étions tous les deux joyeux de cette soirée, et plus encore de celle qui s’annonçait le lendemain, où nous aurions le temps de profiter l’un de l’autre ; la discussion fut légère et le trajet trop court. Camille s’engouffra vite dans l’intestin urbain et je fis demi-tour sans attendre pour rejoindre la suite de la soirée.
Arrêté à un feu, je demandai au conducteur du véhicule stationné à ma hauteur, qui écoutait la radio fenêtre ouverte, le score du match en cours : 0 – 0, m’annonça-t-il avec une pointe de regret dans la voix.
Quelques minutes plus tard, j’étais garé à deux pas du bar et j’allais retrouver l’assemblée quand une clameur résonna : la France venait de marquer un premier but ! Je découvrirai la suite dans les journaux le lendemain.
Je retrouvais donc quelques piliers de l’apéro de Monsieur Chapeau : Miss & Mister Flo, Goormand, Adam et bien d’autres encore. Éric discutait avec Lucia ; bientôt ils allaient dîner ensemble. La suite était cousue de fil blanc : ils partirent tous les deux un peu plus tard, pour mettre les choses à plat – leurs corps brûlants, si vous voulez mon avis. Ma perspective d‘own personal private after s’envolait, mais je n’étais pas d’humeur à en vouloir à quiconque de désirer un autre que moi. Je reprenais un verre de Viognier et mes picorages conversationnels. Sara était toujours là mais en grande conversation. J’en appris un peu plus sur elle, qu’elle se sentait soumise, avait un « maître » mais visiblement peu d’attaches avec lui, etc. Autour de nous, petit à petit, l’assistance se clairsemait au fur et à mesure que les couples s’éclipsaient en direction du club du même nom.
Il était bien 23 heures quand sonna la fin de l’apéro ; après avoir aidé à régler l’ardoise que quelques indélicats avaient laissée, je m’apprêtais à rentrer chez moi quand je remarquai que Sara avait besoin d’un véhicule pour l’accompagner à l’Éclipse où elle avait envie de s’amuser avec les autres. Je me proposai : j’étais plus que ravi de pouvoir être son chevalier servant et d’avoir ainsi l’opportunité de prolonger ma présence à ses côtés, sans trop savoir si j’allais devoir être son accompagnateur3 également sur place où si quelqu’un l’y attendrait. Dans l’improvisation de notre équipage, rien n’avait été anticipé.
Je me retrouvai donc une deuxième fois à sillonner Paris avec une passagère serrée contre moi et je profitais du trajet pour en apprendre un peu plus encore sur elle, tout en l’informant sur l’animal qui la véhiculait4. Il subsistait un doute sur le fait que je sois, en plus d’être son cavalier, son partenaire dans le club – je n’avais toujours pas posé la question. Si tel allait être le cas, poser quelques repères sur nos pratiques et nos aspirations respectives pourrait fluidifier les ébats. Quand nous arrivâmes devant l’Éclipse, M. Chapeau et quelques autres étaient là qui nous attendaient ; je me garai et débarquai ma passagère et je lui posai simplement la question de savoir si elle rejoignait quelqu’un ou si j’allais être son cavalier à l’intérieur. Ma soirée se serait arrêtée là que j’aurais gardé le sourire aux lèvres, mais sa réponse fut aussi simple que ma question : pour l’heure, il n’était pas encore temps pour moi de rentrer me coucher. Voilà donc Sara précipitée dans l’arène et moi à son bras pour la guider. Tandis que, selon le rituel de l’endroit, l’on nous tendit les serviettes et paréos qui allaient remplacer nos tenues de ville, nous entendîmes (plus que nous ne vîmes) le jacuzzi rempli d’une foule joyeuse et agitée (pour ma part, je n’avais jamais connu l’Éclipse aussi remplie). Après une visite très succincte du rez-de-chaussée, je conduis donc Sara au sous-sol où se trouvent les vestiaires. À ce moment, chacun doit intégralement se dévêtir pour s’enturbanner avec le paréo et/ou la serviette fournis. Je fus frappé de voir combien Sara était à l’aise dans cette situation comme dans bien d’autres qui suivirent – je n’en revenais pas que ça soit sa toute première sortie libertine – et comment, tout pareillement, elle m’avait élu comme partenaire et elle allait, pendant toute la suite de la soirée, constituer avec moi un « couple ». Il faut dire que, de mon côté, cette situation faisait plus que me convenir : elle me ravissait.
Pour autant que je me souvienne, ce fut donc quand, quelques minutes après, lorsque nous nous sommes retrouvés sous la même douche, sous le jet chaud, nous nous embrassâmes pour la première fois5. Et avec la même simplicité, l’instant d’après, nous nous autorisâmes un premier jeu ondiniste.
Avant d’aller rejoindre pour une longue trempette nos amis dans le jacuzzi, je fis visiter à Sara les espaces réservés aux ébats, au premier étage, presque tous vides : le sauna ; ma pièce favorite, celle ornée de miroirs où est suspendu un sling ; le coin sombre, prédisposé pour les massages à deux, à quatre ou plus si affinités, qui dégénèrent ; le grand terrain de jeu, lumineux, pour les matchs collectifs ; les petites bulles pour s’isoler à deux ; le fumoir…
Puis, plouf ! dans le jacuzzi. Il était tellement rempli que nous dûmes nous positionner au centre, privés de bubulles ! Nous y restâmes assez longtemps, discutant avec entrain, échangeant des caresses et des baisers. Malgré la présence de deux anciennes amantes autour de moi, Sara concentrait mon attention érotique. Quand nous fûmes mijotés à point, la pulpe des doigts fripée, nous prîmes congés de nos amis et, après un bref séjour au sauna plus destiné à nous sécher qu’à nous transporter dans le sensuel univers scandinave, nous eûmes le plaisir de trouver ma chère salle aux miroirs libre pour nous accueillir. Nous refermâmes la porte sans la verrouiller, offrant ainsi la possibilité aux personnes intéressées de nous rejoindre éventuellement. Ce qui ne tarde d’ailleurs pas. Alors que nous n’avions commencé à jouer que depuis quelques minutes à peine (oh, j’exagère… Sara avait déjà reçu une bonne fessée pendant laquelle je m’étais intéressé à mesurer son seuil de résistance), un premier homme nous rejoignit. À ce moment-là, ma queue était plantée dans la bouche de Sara qui ne pouvait pas vraiment manifester son acquiescement à ce qui se déroulait entre ses jambes. L’homme, qui n’avait pas pris la peine d’entamer la conversation, se fiant à l’adage selon lequel « qui ne dit mot consent », entreprit d’honorer ma partenaire d’un cunnilingus. J’interrompis un instant la fellation dont je bénéficiais et glissais à l’oreille de Sara que c’était à elle de m’indiquer si la situation lui convenait ou non. Mais rien ne semblait pouvoir perturber Sara ce soir, décidément déterminée à vivre les choses comme elles se présentaient. Quand l’homme se sentit repu, il nous quitta aussi discrètement qu’il était venu et peu de temps après, c’est un autre homme qui vint jouer du triangle avec nous. Lui plaça sa bite dans la bouche de Sara auprès de qui je vérifiais à nouveau son consentement, laquelle s’accommodait très bien de la situation. Paradoxalement, c’était moi, pourtant habitué des clubs, qui n’arrivais pas à trouver érotiques ces moments de sexe très mécanique où les esprits s’effaçaient totalement devant les corps, puisque nous ne connaissions rien des ces hommes6.
Puis Sara passa à autre chose. Elle se mit à quatre pattes et, sans ambages, me lança :
— Encule-moi !
Notre invité autoproclamé considéra avec tact que ce qui allait suivre réclamait de l’intimité, aussi prit-il poliment congé de nous. Comme nous n’avions point préparé son cul (en revanche, j’avais, moi, été gâté d’un délicieux anulingus), Sara plein de sens pratique me demanda si j’étais bien dur. Je répondais crânement que non, mais que j’allais y arriver (effectivement je n’avais pas été très excité par la scène précédente pour les raisons expliquées, toutefois l’invite de Sara était du genre bandante !). En fait, sans lubrifiant, l’affaire se révéla plus compliquée que je ne l’avais espérée et ma tentative de sodomie tourna court. J’allais me promener dans les couloirs, tombais sur Monsieur Flo qui s’avéra l’homme de la situation qui me fournit d’une astucieuse dosette de gel, je retournais auprès de Sara, entrepris de lui ouvrir le cul avec un puis deux doigts ; enfin ma queue put assaillir son œillet mais cela ne dura pas très longtemps. Le mojo était passé, tout cela manquait de spontanéité et de lubrifiant.
D’autres scènes succédèrent à celle-ci. Sara trouva très excitant ce moment où les coups de boutoir de nos voisins immédiats résonnaient dans la pièce sombre où nous les côtoyions, le jacuzzi nous offrit une nouvelle séquence de détente, j’eus droit à un massage au salon, nous sirotâmes quelques verres, etc. La fatigue finit par avoir raison de nous et nous partîmes nous rhabiller pour quitter l’Éclipse peu de temps avant la fermeture, c’est à dire quelque part entre quatre et cinq heures du matin.
Tous les deux sur le trottoir du boulevard de Sébastopol, nous restâmes un moment à discuter pour reculer le moment de la séparation. La soirée avait été belle et surprenante et j’anticipais déjà la frustration à venir, entre mon envie de la revoir vite pour poursuivre l’aventure et la conscience de la somme de mes autres envies – toutes celles qui me font palpiter en ce moment et me sentir heureux – que le plus efficace des chausse-pied n’arriverait jamais à caser dans mon emploi du temps. Sara venait de rentrer dans ma vie à la même vitesse que je venais d’entrer dans la sienne.
Illustration: Savannah, Red Riding Hood, par Serge Birault.
- Ah je crois que c’est la première fois que je le case dans un écrit, celui-là !!!↩
- Ainsi sera-t-elle baptisée sur ce burp.↩
- C’est un euphémisme.↩
- Je ne parle pas de mon scooter ici.↩
- Sur la bouche, oui, parce que nous avions déjà échangé une première bise chaste quelques heures plus tôt.↩
- Probablement venus, dans ce club réservé aux couples, avec leur « passe-porc », puisqu’ils étaient visiblement dépourvus de partenaire dans le baisodrome.↩
Ravi de retrouver ta plume toujours aussi alerte…
Je t’ai aperçu ce soir là, dans le jaccuzi, je n’ai pas osé te saluer. Une plume acérée comme j’aime.
C’est sympa de te retrouver.
J’aime bien cette histoire de vie, très bien racontée.
Elle donne envie d’être comme Sara.
Ah enfin, le temps paraissait long, heureusement que j’avais Boris Vian et son Drencula à me mettre sous la dent !!! :)
@patrick Elle s’était un peu endormie, mais elle est toujours là :)
@avant-tureuse Bienvenue ici, et surtout, la prochaine fois, ose (je suis encore plus timide que toi) !
@khalya Eh bien, effectivement, ce n’est pas donné à tout le monde d’être aussi à l’aise pour une première fois, mais il faut se jeter à l’eau !
@gedoja Alors, c’était une bonne lecture ? (elle est si lointaine, pour moi, je ne sais pas ce que j’en penserais aujourd’hui…)
J’ai eu le plaisir de découvrir le lieu il y a quelque temps. J’aime bien y replonger par ton biais. 😌
coucou aussi ;-)
(V., qui entendit parler de toi hier soir, devant de très jolies photozosées ;-) ).
@barbara Oui, on y plonge bien volontiers !
@vintage Mes « petits oiseaux » m’ont porté la nouvelle. J’aime bien l’idée qu’on pense à moi en voyant des photozosées (je brode un peu !!!).