La chambre est peinte d’un jaune tendant vers l’ocre, les boiseries sont bleu cobalt, les ferronneries renforcent la coloration orientale de cette chambre d’hôtel parisienne. Cela ne respire pas le luxe (les dimensions de la chambre sont d’ailleurs assez réduites) mais le bon goût.
Quand il arrive dans cette chambre, il est agréablement surpris. Il sourit. Il sourit à sa jeune amante, arrivée peu de temps avant lui et qui n’a pas encore enfilé sa tenue (« j’ai une surprise pour toi », avait-elle annoncé). Il sourit des surprises que, lui aussi, a pour elle, mais dont il n’a pas souhaité évoquer seulement l’existence, pour les garder entières.
Elle s’enferme dans la salle de bain pour se changer. La porte offre un soupirail qui pourrait dévoiler la surprise, elle l’enjoint de ne pas en profiter. Il est de toute façon occupé à mettre en place les contraintes sous les matelas. Et en outre, il aime trop les surprises pour être tenté de les gâcher.
Variations en noir. Elle apparaît, radieuse, avec sa tenue. Elle porte un body qu’il n’avait pas vu avant – elle en a fait l’acquisition récemment, pour lui faire plaisir –, une petite jupe en cuir, beaucoup trop courte pour être honnête – celle-là, il la connaît car ils l’ont achetée ensemble dans une boutique fétichiste – une paire de bas autofixants mais tout de même reliés par des jarretelles au body. Le haut des bas est orné de motifs en dentelle, faisant ainsi écho aux arabesques de son body, jeux de matières et de transparence. Au sommet du body, un ras-du-cou de dentelle noire complète la tenue. À l’autre extrémité de son corps, deux chaussures à talon avec une bride ceignant la cheville – cela faisait longtemps qu’elle ne les avait plus portées, pendant la longue convalescence de son pied – achèvent de dessiner sa tenue de poupée pour fétichiste n’attendant plus qu’à être dégoupillée pour exploser dans ses bras.
Répondant à son invitation, elle a apporté la bougie rouge « basse température » (il faut le dire vite) avec laquelle il a « un projet » – il n’a pas donné plus de précisions. Elle trône sur une petite étagère, aux côtés de quelques autres accessoires. Parmi eux, un olisbos, dressé vers le ciel, veillera sur le bon déroulement de la soirée : saint patron des sodomites luxurieux.
Leurs deux corps se réunissent. Les mains partent explorer ces territoires connus comme s’ils étaient toujours nouveaux. Sens la douceur de la peau là où tu glisses ta main au liseré de mon bas ! Caresse la rondeur de mon cul que tu délivres de son étui de laine tissée ! Palpe la rondeur de mon sein ! Reconnais le galbe de mon épaule !
Sa main impatiente vient crocheter les trois boutons pressions du body qui ouvrent la route vers son sexe. Il ne s’y précipite pas pourtant. Il s’est promis d’apprendre un peu la patience ; il frôle, il effleure, il agace, s’éloigne comme s’il avait mieux à faire ailleurs, revient, joue. Rien ne presse, de toute façon.
Il la bouscule un peu rudement pour la faire tomber sur le lit. Elle n’oppose de toute façon aucune résistance lorsqu’il sangle chacun de ses membres dans les contraintes qu’il avait disposé tout à l’heure. La voilà écartelée, proie consentante. Il dispose ensuite sur ses yeux l’écharpe rougeoyante pour la rendre plus vulnérable encore ; mais il ne lui met pas de bâillon – pas encore.
Il jette furtivement un regard sur son téléphone pour surveiller l’heure. Il a un peu de temps devant lui qu’il ne compte pas gaspiller. Son nez va se glisser entre les cuisses de sa belle captive. Il hume à grands traits la fragrance si particulière de son sexe et s’en délecte. Il fait courir sa langue sur la peau trop fine, il mordille, suçote, lèche le contour de ce sexe qui se recouvre d’un léger duvet après avoir été une dizaine de jours plus tôt complètement lisse. Il s’amuse à relever chaque fois qu’un de ces poils tout jeune s’échappe pour se retrouver sur sa langue.
Elle annonce qu’elle doit aller aux toilettes et qu’il faut donc la libérer un instant. Cela l’embarrasse, par rapport au déroulé de la suite qu’il a organisée, mais c’est un cas de force majeure et il consent à l’exaucer. En temps normal, il aurait accompagné sa créature toujours aveugle dans la salle de bain, il n’aurait pas perdu une goutte (sic) du jet blond, impérieux et fou qui allait surgir de son sexe pour se fracasser sur l’émail, mais là, il l’abandonne pour manipuler son téléphone. Il n’a pas la conscience tranquille, si vous voulez mon avis.
Avant de reprendre sa posture cruciale, la vessie maintenant vidée, elle profite un instant de sa liberté pour avaler une lampée de Vouvray. Il fait de même. Et parfois, quand elle ne peut se servir elle-même, il se sert, garde en bouche la gorgée et va à sa bouche l’abreuver, comme une mère oiselle va nourrir ses oisillons restés au nid. Le sentiment de maternité en moins. Il trouve que ces jeux de bouche amplifient le goût et la puissance du vin.
Il la lape avec délice, plonge un doigt, puis vite un deuxième, au fond de sa matrice, qui la crochète et lui font pousser des glapissements de plaisir. Son propre sexe gonfle du plaisir donné tandis que l’intimité fouillée par ses phalanges se gorge encore davantage de mouille, à tel point qu’un clapotis se mêle aux râles et à leurs souffles sonores. N’y tenant plus, il délaisse un instant la chatte de sa douce torturée pour aller plonger sa queue dans sa gorge – la bouche s’ouvre avec gourmandise, sans résister nullement.
Le téléphone sonne. Il décroche assez rapidement, mais la ligne répond déjà dans le vide ; il raccroche, a à peine le temps de s’en éloigner que le téléphone sonne à nouveau. Elle l’entend prononcer ces deux seuls mots : « oui ?! », « oui. »
« Il paraît que nous faisons trop de bruit » dit-il, pas très convaincu que cette explication suffira à éteindre ses soupçons ; peu importe. Une minute après, trois coups sont frappés sur la porte, tant pis si la surprise était éventée, le meilleur reste à venir. D’un doigt sur la bouche, il invite le troisième protagoniste de cette soirée à garder le silence, mais son « bonsoir ! » trahira son sexe. Le troisième est une troisième.
Tandis que la nouvelle entrante se met, elle aussi, en « tenue de soirée », il s’allonge contre sa belle prisonnière, devenue leur belle prisonnière, et de ses mots à son oreille, de sa main à ses flancs, il la caresse et la rassure. Puis, quand son invitée est prête à les rejoindre, il annonce : « je te la laisse, elle est toute à toi ! ». Il prend du recul, s’assied sur le siège et contemple le spectacle dont il n’est que le producteur, pas le metteur en scène.
Elles ne se sont évidemment pas donné le mot, pourtant toutes les deux portent une lingerie exclusivement noire ; toutes les deux portent des bas (ceux de l’invitée sont plus opaques, sans dentelle) et des porte-jarretelles. Cette seule contemplation pourrait suffire à le combler.
Les nylons se frôlent ; elle s’installe, jambes entremêlées avec celles de l’écartelée, et entreprend de goûter ce corps qu’elle découvre. Assez vite, elle se sent embarrassée par sa lingerie, alors il abandonne un instant son statut de voyeur pour l’aider à se libérer de son soutien-gorge et il en profite pour, timidement, goûter cette peau nouvelle.
Il reste encore un long moment le témoin bienveillant de cette étreinte humide. Par petites touches, il détend, les unes après les autres, les tensions de chaque contrainte, pour éviter que les membres ne s’engourdissent et pour autoriser qu’elle aussi, plus librement, caresse ce corps dont elle ne peut qu’à peine deviner les volumes. Sans doute a-t-elle senti sa longue chevelure libre caresser ses joues ou son épaule. Mais que sait-elle de la finesse des poignets, du galbe des seins, de la roseur des joues, de la couleur de la toison de sa délicate tortionnaire ?
Il trouve les limites du plaisir contemplatif ; d’un doigt, il vérifie l’humidité de sa grotte ; il libère encore un peu plus les contraintes et positionne son aimée sur le flanc, écarte les lèvres tremblantes et enfonce violemment sa bite gonflée en elle. Immédiatement, elle gémit, et plus fort encore maintenant qu’il la pilonne avec vigueur. Elle qui regarde maintenant la scène avec gourmandise lui lance un regard approbateur.
Il avait indiqué à son invitée qu’elle choisirait le moment pour lui ôter son bandeau. Ce qu’il advint. C’est le temps de faire désormais connaissance de façon plus conventionnelle. Elle est libérée de ses entraves, sourit de la liberté retrouvée de ses jambes et ses bras, remercie l’inconnue désormais nommée de sa présence auprès d’elle et son amant ; elle remercie à son tour d’avoir été conviée auprès d’eux, propose que l’on goûte à sa bouteille, ce que chacun fait en picorant quelques victuailles.
Elle et lui se tutoient. Lui et elle, l’invitée, se vouvoient (de temps à autre, un « tu » s’échappe de sa bouche ou de la sienne, soulignant, peut-être, le décalage entre cette marque de distance et la proximité des intimités). Elle n’arrive pas à la vouvoyer, alors elles se tutoient. Tous les trois aiment jouer ensemble, c’est certain.
Il l’attache à nouveau, après qu’il s’est assuré auprès d’elle qu’elle était d’accord pour qu’il réalise son « projet ». Il approche alors la bougie qu’il avait préalablement allumée, afin que de la cire liquide soit déjà prête à s’écouler. Il lâche, d’abord avec précaution, les premières gouttes. Sont-ce celles-là qui mordent le plus ? Comme ils jouent, car pour eux, le sexe peut éventuellement être une chose sérieuse, mais ne doit jamais être une chose triste, elle fait l’insolente alors il sort le bâillon boule pour la faire taire. Elle parle quand même, et paye sa témérité par une cascade de gouttes de cire en fusion sur son sein.
Sur son globe si harmonieusement rebondi, une goutte s’écoule, rectiligne, jusqu’au flanc.
Il en est ému.
Le sein a été abondamment couvert de cire. La masse rouge dessine avec netteté le téton resté dressé pendant la séance. Avec prudence, ils retirent du sein le moulage, souvenir éphémère de cette séance d’équilibrisme entre douleur et plaisir.
Comment sont-ils passés au tableau suivant, nul ne peut le dire.
Le voilà mâle domptant ses deux femelles. D’un geste ferme, il colle les deux corps l’un contre l’autre et les maintient unis. (La force n’est guère nécessaire, en vérité, car elles n’opposent aucune résistance.) « Il tape sur deux beaux culs et c’est numéro Un »
Tel un percussionniste, il joue de ses deux paumes pour claquer les quatre fesses (et cela peut faire penser à un précédent sauf que dans sa tête, à ce moment-là, c’est tout autre chose). Il s’amuse à suivre le rythme de la musique diffusée sur la petite enceinte portative, lorsque celle-ci s’y prête. Il s’amuse à varier les intensités, à créer des modulations, des alternances qui engendrent, chez les deux fessées, un effet de surprise. Prudent au départ avec la nouvelle venue, il prend progressivement confiance, jaugeant les réactions de son invitée, et finit par frapper avec la même force que celle administrée à son amante son très beau cul.
Il remplace sa main par le lourd martinet et cela dure encore un bon moment.
Elle lui dit :
— À un moment, mon pied a reçu accidentellement un coup et j’ai aimé y sentir les lanières.
— Poursuivons donc ! lui répond-il, car il a entendu son invitation.
Il l’installe alors en travers du lit, ajuste les contraintes pour lui écarter les jambes tout en laissant ses mains libres. Il commence doucement. Elle se tortille et il sent que c’est de plaisir. Il continue, longtemps, fasciné par ces deux pieds exquis, toujours gainés du nylon opaque de ses bas, devenus organes sexuels à part entière.
Il a le sentiment profond de ressentir avec précision l’impact de chacun de ses coups.
Une pause encore. Pendant qu’elles discutent ensemble et grignotent un morceau, il fait lentement pénétrer dans son cul un plug de verre qui remplace celui en métal, moins épais, dont il s’était rempli en début de soirée.
Elle s’harnache et son phallus de silicone noir se marie harmonieusement avec sa lingerie. L’autre va s’installer dans le fauteuil au bord du lit et va, contemplatrice, observer toute la scène.
D’abord à quatre pattes, il lui tend ses fesses et sent la masse oblongue progresser entre ses reins. Il donne la cadence, « moins profond », « plus vite… »
Vite, il regrette de ne pas voir le regard brillant de son aimée alors il s’allonge sur le dos. Elle place un oreiller sous ses reins et le reprend ; lui a relevé ses genoux, posant parfois ses chevilles sur ses épaules à elle.
Sous le harnais, elle sent la cyprine inonder son sexe.
Le plaisir monte, fort, lorsqu’elle balance avec intensité des coups de queue peu profonds mais très rythmés.
Il ne sait pas dire s’il a joui, mais après lui avoir demandé de se retirer, son corps est secoué un long moment de spasmes.
Le harnais ne trouvera pas d’autre usage ce soir-là et certains en conçoivent un léger regret. Ce n’est que partie remise ?
Il doit vraiment partir pour rentrer chez lui. Il est plus tard que d’habitude, mais rien ne devait être écourté, sinon le temps de sommeil.
Comme l’invitée peut rester passer la nuit avec l’amante, il les quitte à reculons. Il voudrait aussi être une petite souris pour observer et entendre ce qui va ensuite advenir dans cette chambre dès qu’il aura refermé la porte derrière lui.
Elles discutent l’une contre l’autre et avancent avec leurs mots dans la nuit jusqu’à l’heure où « Paris s’éveille », selon le poète. Puis le sommeil finit par avoir raison d’elles.
Le matin, elles ont retrouvé un peu d’énergie et cette fois, à leurs bouches, il ne manque que la parole. Le désir perle.
Et, et, et… ?
Vous n’en saurez pas plus que lui.
Je ne vous retrouve pas dans ce texte. c’est de vous ? bon, je suis passée à côté des subtilités sans doute… même le titre…
B
@brigit Si vous vous posez cette question, c’est que mon exercice de style est réussi. Oui, c’est de moi, j’avais envie de changer de plume pour ce texte. Quant au titre, je pensais pourtant qu’il était gros comme une maison ! Mon chibre est un soleil, sans doute !
C’est vrai que ce texte dénote légèrement ; mais je me suis plu à le relire (et surtout, à le revivre…).