LA NUIT DES CHATS
Des minets, des miaous, des matous.
Une douzaine, peut-être davantage.
Ils batifolaient sur la couette en velours rouge. Ramassant et étirant leurs petites pattes sous le faisceau de lumière crue, poussière d’étoiles épandue sur la couche depuis l’invisible plafond. Une odeur de musc baignait l’atmosphère, et la musique baroque, au brusque diapason, provenait du même coin d’où jaillit, impérieuse, la voix sèche :
— Déshabille-toi.
— Sûrement pas, protesta doña Lucrecia. Moi là, avec toutes ces bestioles ? Plutôt mourir, je les déteste.
— Il voulait que tu fasses l’amour avec lui au milieu des chatons ?
— Imagine un peu. Il voulait me voir nue au milieu de ces chats. Alors qu’ils me dégoûtent ! J’en suis toute hérissée à ce seul souvenir.
Je commençai à percevoir leurs silhouettes, ses oreilles purent entendre les faibles miaulements de la chattée. Sécrétées par les ombres, elles apparaissaient, prenaient corps, et sur le couvre-lit incendiaire, inondé de lumière, les éclats, les reflets, les brunes contorsions lui tournèrent la tête. Il devina au bout de ces extrémités mouvantes se glissant, aqueuses, courbes, juvéniles, les petites griffes.
— Viens, viens ici, ordonna l’homme dans le coin, doucement.
Elle avait obéi à l’ordre de l’amant dissimulé dans le coin. Debout à ses côtés, docile, curieuse et désirante, elle attendait, sans oublier une seconde la portée féline qui, pelotonnée et turbulente, s’agitant et se léchant, s’exhibait dans l’obscène cercle jaune qui l’emprisonnait au milieu de la couette flamboyante. Quand elle sentit les deux mains sur ses chevilles, descendant vers ses pieds et les déchaussant, ses seins se tendirent comme deux arcs. Ses mamelons durcirent. Méticuleux, l’homme lui enlevait maintenant ses bas, baisant sans hâte, avec minutie, chaque petit bout de peau découverte. Murmurant quelque chose que doña Lucrecia interprétait, au début, comme paroles tendres ou vulgaires dictées par l’excitation.
— Savais-tu que c’est le miel que les matous aiment le plus au monde ? Qu’ils portent au derrière une bourse dont on tire un parfum ?
— Et pourquoi ces flacons de miel? Demanda-t-elle craignant un jeu, une blague, qui auraient ôté tout sérieux à cette cérémonie.
— Pour t’en frictionner, dit l’homme en cessant ses baisers. — Il continua de la déshabiller, après les bas, le manteau, le chemisier ; maintenant il déboutonnait sa jupe. — Je l’ai rapporté de Grèce, du miel des abeilles du mont Hymette. Le nectar dont parle Aristote. J’en ai gardé pour toi, en pensant à cette nuit.
— Ah ça non ! protesta doria Lucrecia. Mille fois non. Avec moi pas de cochonneries. (suite…)