Il était autour de 20 heures. Deux coups frappés sur la porte. Nous voilà elle et moi au pied du mur.
J’enclenchai sur mon lecteur L’hôtel, la reprise par Michaël Stipe du morceau de Gainsbourg L’hôtel particulier de l’album Monsieur Gainsbourg Revisited. Les autres morceaux qui s’enchaîneront seront ceux que j’ai réussi à mettre en file dans la fébrilité des derniers préparatifs, pris par le temps alors qu’elle m’avait annoncé son arrivée.
Au cinquante-six, sept, huit, peu importe
De la rue X, si vous frappez à la porte
D’abord un coup, puis trois autres, on vous laisse entrer
Seul(e) et parfois même accompagné(e).
J’étais chargé de m’occuper de l’ambiance musicale, et elle « du reste ». J’ai un peu empiété sur mes prérogatives, j’ai aussi arrangé l’éclairage (qu’elle voulait feutré) et prévu de quoi nous désaltérer (une bouteille au frais) et de quoi la pénétrer (préservatifs & gel sur une tablette). Tout devait être en place, car voyez-vous, moi je n’allais plus y voir grand chose. Depuis le matin, je transpirais. Je transpirais d’angoisse, de stress, de tous les « et si… » que mon cerveau envisageait, « et si… » qui conduiraient à l’échec de cette rencontre. La nuit qui avait précédé, déjà, n’avait pas été bonne. Je ne trouvais pas le sommeil, je me tournais et retournais dans mon lit. J’avais anticipée cette insomnie, j’avais tenté de la désamorcer en faisant l’amour avec ma femme, mais ce soir-là, comme beaucoup d’autres, elle n’avait simplement pas envie. J’ai tant d’amour et de désir à donner, elle en accepte si peu… J’arrivais à sauver 5 heures de sommeil dans cette nuit. Depuis le matin se secrétait donc sous mes aisselles l’odeur âcre de la peur que je tentai de dissimuler avec un peu de parfum et un rapide coup d’eau savonneuse arrivé dans la chambre de l’hôtel. La transpiration des préparatifs a changé de nature. Je transpirais d’émotion. Je n’avais plus le temps d’avoir peur. Mon visage était rouge et mon cœur palpitait.
Deux coups frappés à la porte, c’était elle. Je plaçai sur mes yeux le foulard que j’avais choisi pour bandeau. Il cacherait un peu de mon émotion, finalement.
Aveugle. D’un pas peu assuré, j’entrouvris la porte et me rassis comme il avait été convenu, entièrement habillé, sur la chaise, immobile.
Une servante, sans vous dire un mot, vous précède
Des escaliers, des couloirs sans fin se succèdent
Décorés de bronzes baroques, d’anges dorés,
D’Aphrodites et de Salomés.
On peut rire des craintes que je formulais à ce moment. La première, qu’elle ne vienne tout simplement pas, était repoussée (crainte qui n’avait rien d’absurde : dans le passé j’ai hélas eu droit à un lapin dans un hôtel, d’une femme qui avait eu peur). Elle était là. La seconde, que ce soit une imposteuse (autour de cette crainte, des tas de variantes : qu’elle soit plus vieille, difforme, moqueuse, violente…) et la troisième, qu’elle soit simplement déçue et tourne les talons… ces deux-là s’évanouirent quand j’entendis le premier son qu’elle prononça. C’était un grand soupir ou un Oh ! qui ne dissimulait pas sa propre émotion de se retrouver à mes côtés, dans la même situation. Elle aussi avait mal dormi. Elle aussi avait eu son cœur agité toute la journée, l’esprit tout entier tourné vers son rendez-vous clandestin du soir avec moi.
S’il est libre, dites que vous voulez le quarante-quatre
C’est la chambre qu’ils appellent ici de Cléopâtre
Dont les colonnes du lit de style rococo
Sont des nègres portant des flambeaux.
Je n’ai pas contrôlé le premier geste que j’ai eu, je n’imaginais pas que ce serait celui-là : j’ai tendu ma main vers elle, comme si j’allais me noyer. Je me noie si je ne te touche pas. Je suis perdu dans le noir et j’ai besoin de ton contact. Les effleurements auraient pu durer longtemps. Nous avions du temps devant nous. Nous découvrions chacun ce jeu pour la première fois. Elle aurait pu lentement me supplicier, faire monter son désir, éprouver le mien. J’étais à sa merci, vous disais-je. Mais le désir ne s’est pas fait attendre, il nous a bien vite emporté l’un contre l’autre.
Entre ces esclaves nus taillés dans l’ébène
Qui seront les témoins muets de cette scène
Tandis que là-haut un miroir nous réfléchit,
Lentement j’enlace Melody.
…
J’ai revu M*** quelques jours après.
Frappée par un éclair, un autre, vacillante, au bord du vide.
Un sourire triste, mais un sourire tout de même, passait de temps à autre sur son visage.
Ses yeux, magnifiques, me faisaient baisser les miens. Je souhaitais qu’ils me dévorent encore.
Que notre rencontre ne se résume pas à ces deux éclairs.
Premier éclair de plaisir — qui nous emporte.
Second éclair de destruction — qui punit au prix fort les amants adultères.
Merde merde merde ! La vie doit l’emporter. La vie devrait toujours l’emporter.
Et moi, pour la deuxième fois cette année, condamné à voir souffrir une femme à laquelle je tiens sans pouvoir vraiment l’aider.
et tu me demandes ce qui me retient de tromper mon mari?
@ dar es salam >
Ben oui. Mais c’est à toi de donner ta réponse, pas à moi.
Chaque histoire est différente. Celle-ci est unique comme une autre.
@comme un malvoyant : intéressant le récit de l’aveugle avec sa canne blanche téléscopique. :-)
Euh, je l’aime bien ce texte, mais ne manque-t-il pas la partie centrale ? Tu vas me répondre que ce n’est pas le sujet, que je pourrais laisser courir mon imagination. Mais vois tu, je préfère quand c’est la tienne qui court. Je crois qu’elle s’essouffle moins vite.
@ Roumi >
Content que ça t’ait plu !
@ lib >
Délicieuse flatteuse ;-)
Oui, je voulais, pour cette histoire un peu trop fraîche, ne jeter que quelques pistes et vous laisser broder.
Je suis allé un peu vite en besogne à vous livrer une histoire que je n’ai pas encore digérée.
j’adore comme toujours.
je vais et je viens…dans le creux de tes….
pardon je m’suis tromp…je viens et je reviens …..c’est plus juste comme cela.
@ supercannelle >
Moi non plus.
(Naaan j’déconne ;-)
Je suis de l’avis de Lib, ton texte est très beau, il nous tient en haleine…
Mais tu frustres notre curiosité en faisant l’ellipse de vos assauts…
Mais curiosité est toujours malsaine, alors si tu le désires, garde pour toi ce moment à deux. Ou peut-être nous le livreras-tu une prochaine fois ?
La fin aussi est assez trouble pour moi …..
@ sexcie >
Merci également pour le compliment. Pour être très franc, je voulais en faire un texte plus « beau & fort » encore… Mais le réel n’offre pas la même possibilité d’expression que l’imaginaire et je me suis trouvé confronté à trop de doutes pour pouvoir tout raconter. Je vous laisse imaginer, donc. (Mais je ne repousse pas la possibilité d’une suite, plus tard, quand les événements se seront un peu plus décantés.)
Non, non, la curiosité n’est que très rarement malsaine : sûrement pas « toujours » ! Quelles que soient nos raisons, nos motivations, la curiosité vers l’autre est une ouverture.
Le voyeurisme (de mon lectorat) fait écho à l’exhibitionnisme (de mon burp).
FABULEUX…magnifique…
j’adore ce texte.. tel quel sans lui retirer ni rajouter quoi que ce soit, sans aucune autre description…
je laisse vagabonder mon imagination à travers toutes vos émotions entremêlées..
!
Euh j’espère que le terme générique « comme un … » n’est pas un TM. Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression d’enfiler un caleçon de cui là, hihi. C’était juste parce que je me disais que ça ferais rigolo ds les titres des coms, ça me fait trop penser à Stéph de Monac. Sinon, émouvant cet article, mais c’est un peu triste de souffrir autant après, vous ne formeriez pas un peu un couple sado-maso ? Enfin, tu ne pensais pe pas qu’elle souffrirait comme ça …
Cassiopée
@ Athena > En le relisant, j’ai vu un piteux accord de participe passé à « réussi » que j’ai corrigé. J’aime assez ce texte, aussi, pour sa construction, sa mise en forme, et … le souvenir si cher qu’il fait remonter en moi.
@ Comme une cassiopée > Pour dire ce que ce texte ne disait pas à l’époque, maintenant il y a prescription, cette aventure adultère a été découverte par le mari (c’est ça le « deuxième éclair »). Et à conduit, assez rapidement, à leur divorce. Mon sentiment, c’est que le ver était dans le fruit, et que si M*** n’avait pas eu cette aventure avec moi, elle l’aurait eu avec un autre, que leur couple, déjà, ne fonctionnait plus (je pense qu’un couple qui fonctionne encore sait surmonter ce genre d’ouragan qui passe par là).
Aïe…la fin est un tsunami!
C’est dommage que son couple se soit terminé ainsi..
Se séparer pour une liaison adultérine ça la fout mal! (heuu…dans le monde des « coincés » dont je fais parti!) C’est plus admis de dire « nous nous aimions plus » que de dire « je l’ai trompé et il l’a découvert »..Ouille!
Et bien souvent la question suit est « Et lui que devient-il? »…sourire
plus sérieusement, vous pensez réellement qu’un couple qui fonctionne puisse faire face à un adultère?
Non, non, non…bien au contraire…pour un vrai couple qui « fonctionne » ça le détruit encore plus vite… avec tout le lot des questions du « POURQUOI »…pire si c’est un homme (fidèle) qui est trahi, il aura bien de mal à l’admettre, c’est toute sa « virilité » qui est mise en jeu… Pas simple ce genre de situation.
!
Après relecture, je trouve ce texte triste, CUI.
Chargé d’émotions, certes, mais aussi de nombreux regrets. Crainte, angoisse, manque de désir (de ta femme), fébrilité, noyade, fatigue… Et une étreinte immédiate, comme pour se racrocher à quelque chose, se réfugier contre la chaleur de la peau de l’autre, pour oublier.
Mais ce sentiment est peut-être en grande partie dû à moi-même… :) Qu’importe.
@cui : aïe je n’avais pas compris pour le 2ème éclair. C’est vrai que c’est moche qu’un couple finisse ainsi (ça t’a fait peur dit? tu as stoppé tes aventures pdt qqs tps? :-) ). Après , difficile à dire si un couple survit à l’adultère ou pas. Ca dépend de beaucoup de choses, de la personnalité de chacun, de l’attachement, du détachement ….
Triste texte en effet, mais tout en finesse.
Personnellement, je trouve qu’éprouver de la culpabilité face à nos actes, c’est encore avoir un peu d’humanité en soi et c’est bien plus admirable que l’indifférence et le déni. Au moins, vous ne vous voilez pas la face et réagissez en être … humain, faible et fantastique à la fois.
Pour ce qui est du non-dit de votre texte, eh bien, laissons faire l’imagination : Fantasmons !
(le F est en majuscule, en référence à votre post chez Madeleine et George : décidément, je vous lis partout).
@ Athena > Je ne sais pas. Je crois que c’était un peu présomptueux de ma part de l’affirmer, mais chaque couple a son histoire et ses fonctionnements. Ce que je veux dire, c’est qu’on n’en vient rarement aux pratiques adultérines par hasard. Donc, je pense, dans le cas de M***, que son couple était condamné. Alors que dans mon cas, si ma femme l’apprenait, je ne sais pas… Je ne sais pas (et je ne veux pas avoir à le savoir).
@ Emeline > Il est composite, ce texte, il dit le haut et il dit le bas. Il dit le joli et le moche.
Ce que tu en retiens, probablement, c’est dû à ton expérience de lectrice… et plus à celle de l’auteur !
@ cassiopée > Non, ça ne m’a pas fait peur. M*** et moi avons ensuite vécu une aventure très intense, racontée au fil de l’eau à la suite de cette note, et qui s’est terminée quand j’ai démarré ma thérapie conjugale. Tu as raison, pour l’impact de l’adultère sur un couple : ça dépend !!!
@ mina > En l’occurrence, la culpabilité n’est pas le sentiment principal qui me gouverne. Si je me sentais coupable de mes agissements, je crois que j’essaierais d’agir différemment !
J’aime le fait que tu ne racontes rien, ça n’en fait que plus pressentir la force de cette nuit-là.
Mais j’ai une question pratique (au cas où un jour, j’osais …) :
si tu avais les yeux bandés, comment as-tu pu vérifier qu’elle n’était ni vieille, ni difforme, bref, qu’elle était séduisante ?
@ Bourgeon » (Bienvenue ici ; même si je t’y ai presque traînée de force ;-)
À partir du moment où le rendez-vous est donné dans une chambre d’hôtel entre deux personnes qui ont joué le jeu à ne pas s’échanger de photo, le risque de tomber face à quelqu’un qui ne nous plaît pas est non nul. Du coup, avoir les yeux bandés ou non n’apporte aucun risque supplémentaire. Dans ce jeu, nous avions décidé qu’elle me verrait, mais moi non.
Nous nous étions eu au téléphone auparavant, nous avions parlé de nos vies, elle avait un burp elle aussi donc j’en savais un peu sur elle, sur sa vie (et c’est ça qui nous a donné envie de nous rencontrer). Elle aurait pu être une grosse pipeauteuse (ou moi j’aurais pu aussi raconter des cracks). Quand on tente une expérience comme celle-là, je crois qu’il faut un minimum de confiance, non ?
Alors, avec mes mains, j’ai pu vérifier qu’elle n’était pas difforme, qu’au contraire les courbes de son corps m’enflammaient (mon Dieu, la finesse de sa taille !!!). Et le moment où elle a voulu m’ôter mon bandeau, pour voir mes yeux (finalement, mon œil, c’était le seul truc qu’elle avait vu !), ce moment où, un peu ébloui par la lumière, j’ai découvert ses traits, ces quelques secondes où mon cerveau paniqué se demandait si la femme que je découvrais était séduisante ou non… (Je vous rassure, après la panique, il y a un happy end ;-)
C’est bon parfois l’odeur de la peur….je me suis retrouvée récemment dans cette situation délicate, à suinter l’angoisse, et ne me suis jamais demandée si j’allais indisposer mon hote…les fluides se mélangent…dans le noir les odeurs sont encore plus fortes, elles prennent un sens.
@ Samantha » Il est clair que les odeurs participent de la fusion du moment.
Mais généralement, l’inquiétude accompagne l’attente et s’arrête vite. Si elle se poursuit, c’est plus inquiétant !