[1195] Euro-fantaisie (from London, with Love)

Notre Eurostar émerge de son périple subaquatique (dans ce long tunnel, on finit par oublier qu’on a la tête sous des millions d’hectolitres d’eau de mer) et mon téléphone accroche au réseau français. Retour à la 3G. Il vibre à plusieurs reprises indiquant la réception de nouveaux messages.

Parmi ceux-ci, une notification d’un DM (i.e. message privé sur Twitter, NDLR) d’une de mes correspondantes avec qui je partage dans une plus ou moins grande mesure des convictions politiques, un penchant pour les jolis souliers de femme, la charge d’élevage de progéniture et une inclination à l’hédonisme. Je ne sais pas mesurer jusqu’à quel point, car nous n’avons pas encore longuement discuté pour être suffisamment intimes.

Appelons-là Freda.

Freda – Hello, tu es rentré ?

Jérôme — Je suis dans l’Eurostar du retour ! Côté France, la 3G est de retour :-)

Freda — Celui de 18:01 ?

Ainsi que nous l’avions, de part et d’autre, annoncé sur le réseau, Freda et moi partageons en plus de tout ce que j’ai cité plus haut, un programme de vacances pascales : #London ! Ce que j’ignorais, en revanche, c’était les dates précises de son séjour ; elle l’avait commencé avant moi, comme j’ai pu le lire au travers de quelques twittes ; mais quand revenait-elle ?

Ce message me fait deviner qu’elle rentre en même temps que moi et que le hasard va peut-être être un peu forcé pour provoquer une rencontre.

Que nous soyons dans le même train ne suffit pas ! Il faut aussi que nous soyons dans la même rame pour avoir une chance de partager un verre dans le wagon-bar.

Jérôme — Départ Londres à 18:01 heure locale, arrivée 21:20 heure locale ! Voiture 15.

Freda – Tiens, tiens ! Que dirais-tu d’une bière, dans 10 mn en voiture bar ?

Jérôme — Je suis ton homme ! Tu me reconnaîtras à ma barbe de 6 jours et mon pull bleu marine à capuche.

Je préfère qu’elle ne me dise rien sur elle ; je reconnais toujours les rendez-vous à l’aveugle ; il y a quelque chose dans le regard qui trahit le fait qu’on est à la recherche d’un inconnu connu ! Et puis j’ai quelques idées sur son apparence, un âge approximatif, même s’il est peu probable qu’elle porte les mêmes escarpins que ceux de sa PP (i.e. Photo Personnelle – personal picture en anglais — l’équivalent des [gr]avatars ici, NDLR) qui me permettraient de l’identifier à coup sûr.

Je prétexte n’importe quoi pour disparaître du carré famille en espérant qu’aucune de mes filles curieuses ne viendra me gâcher cette rencontre impromptue et inespérée.

Je m’installe dans un coin du bar où, opportunément, il n’y a personne à proximité immédiate, scrutant alternativement les personnes qui entrent dans la voiture et mon téléphone, dans un mélange d’excitation curieuse et d’anxiété. À un moment je vois entrer une femme… mais elle est accompagnée et trace directement jusqu’au comptoir pour commander. Et puis… et puis je la vois, enfin, cette fois, j’imagine bien que ça peut être elle à cause du sourire tout particulier qui se pose sur ses lèvres au moment où nos regards se croisent. Je crois que, dans la demie seconde, mes joues deviennent très rouges tant cette apparition m’impressionne. Non seulement Freda ne ressemble pas du tout à ce que j’imaginais1 mais elle était d’une beauté à tomber raide. Alors que j’imaginais une beauté du Sud, une paire d’yeux bleu glacier m’observe. J’étais heureusement le cul bien vissé sur mon tabouret de TGV et je réussis à prononcer un « Bonsoir ! » sans bredouiller. « Au fait, je m’appelle Jérôme » ajoutai-je. Comme la femme en face de moi continue de sourire et me répond, je commence progressivement à reprendre confiance en moi. Oui, évidemment, je me dis quand même « trop belle pour moi » et j’essaye de me consoler en me disant que cette mini-rencontre n’allait évidemment pas déboucher sur quelque chose de plus qu’une éventuelle bière avalée à Très Grande Vitesse si nos conjoints et nos gnards respectifs ne nous interrompaient pas. « What did you expect, Jérôme ? »

Je demande, justement, à Freda si elle a le temps pour une bière et la réponse est oui. On se faufile tous les deux dans la file d’attente et je frissonne quand son buste, probablement involontairement car le train vient de nous envoyer une secousse, effleure mon dos. En attendant d’être servis, nous échangeons quelques banalités sur notre séjour à Londres. Ça t’a plu ? Vous avez fait quoi ? Les enfants ont aimé ? Au fait, quels âges, les enfants ? On s’arrête sur le même choix de bière : ça nous fait déjà un point commun !

Une fois servis, nous retournons dans ce coin de la voiture-bar resté miraculeusement vide. Chacun guettant derrière l’autre les personnes qui arrivent dans le wagon (elle ne venant pas du même côté de la rame que moi, nos regards alternent tous les deux de notre interlocuteur à la porte). Puis elle me lance : « Dis, je suis allé voir ton site et j’ai lu quelques articles, tu m’as l’air d’être un sacré coureur… » J’essaye de me défendre en assurant que je ne cherche pas à multiplier les conquêtes pour faire du chiffre même si, en ce moment, j’ai un appétit déraisonnable. « Et qu’est-ce que tu penses de ce que tu as lu ? » lui réponds-je, auteur narcissique, au lieu de songer plutôt à l’interroger sur ce que, elle, fait de sa vie sentimentalo-sexuelle.

Tout s’enchaîne ensuite très vite. Elle me dit qu’elle n’a pas le temps de développer car elle va devoir retourner dans son wagon avant que ça ne paraisse louche mais qu’elle serait très heureuse de le faire à l’occasion d’un rendez-vous où nous aurions, je cite « tout le temps nécessaire devant nous pour en discuter en détail ». Nous échangeons nos coordonnées téléphoniques, nos courriels, et au moment de me faire une bise d’adieu, ses lèvres se posent le temps d’un baiser éclair sur les miennes, me transformant une deuxième fois en pivoine. Elle me fait un clin d’œil et me lance « À bientôt » avant de tourner les talons.

Je retourne également dans mon wagon en restant songeur tout le restant du voyage.

Quand je sors de ma rêverie, je peste d’avoir pris l’Eurostar de 19:01 (heure locale), arrivée 22:20 (heure locale).

Transit of venus - photo © Nasa
Illustration : le transit de Vénus – photo © Nasa

 


  1. Ça peut vous paraître surprenant que j’imagine quelqu’un dont je ne connais aucun élément physique sinon une paire de pieds dont quelques orteils et morceaux de peau apparaissent autour des escarpins portés, mais mon cerveau avait interprété quelques éléments lus sur Twitter et s’était fait son petit délire dans son coin.

24 gazouillis sur “Euro-fantaisie (from London, with Love)”  

  1. #1
     
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    Vagant a gazouillé  :

    Ah ça c’est drôle alors. Pour un peu nous étions tous dans le même train, sauf que pour moi, ce n’étaient pas des vacances. Mais, suis-je bête, peut-être n’était-ce pas le même jour ?

  2. #2
     
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    Cécile de Volanges a gazouillé  :

    Alors là j’adore, très crédible et bien mené. J’aime l’idée de la rencontre impromptue et de la découverte de l’autre. Ce que je ne sais pas c’est si il y aurait eu le même récit dans le cas d’un même horaire de retour… Mais finalement ça doit être parce que vous rougissez que j’adore !

  3. #3
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @ Vagant » Ah, forcément, la rencontre aurait eu un goût différent. Dans un espace parallèle, sans doute !

    @ Cécile de Volanges » Merci, je rougis du compliment ^^
    Bien sûr que c’est crédible, c’est ABSOLUMENT arrivé exactement comme je l’ai décrit (dans un espace parallèle).

  4. #4
     
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    Carnets d'Eros a gazouillé  :

    J’ai connu une rencontre ferroviaire il y a un an environ.
    Une rencontre impromptue.
    Paris gare de Lyon. Je venais de quitter ma galante, la délicieuse S….. et m’apprêtais à rejoindre mon TGV lorsque j’entend un joyeux « mon-prénom qu’est ce que tu fais là toi ? »
    Malaise … J’étais en présence de Josette, collègue de travail fort sympathique au demeurant, mais qui connait très bien ma famille. Heureusement avec ma belle amie, nous avions convenu d’une attitude parfaitement neutre en lieu public, elle même étant francilienne, et contrevenant gravement à la monogamie, nous nous devions d’être sur nos gardes !
    Curieusement, alors que j’étais à des centaines de km de mes pénates, c’est moi qui aurais pu me faire surprendre en fâcheuse posture.
    Les rencontres impromptues de TGV ne sont pas toutes aussi plaisantes que celles de CUI !

    Du fin fond d’une nuit d’insomniaque.

    CdE

  5. #5
     
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    columbine a gazouillé  :

    « même si, en ce moment, j’ai un appétit déraisonnable. » « en ce moment »???? mouhaaaaaaaaaaa

  6. #6
     
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    columbine a gazouillé  :

    sinon je trouve cette note un peu trop romantique, on n’est pas habitué (je suis déjà loin)

  7. #7
     
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    ivv a gazouillé  :

    J’avoue que j’ai mis un moment à saisir la portée de la dernière phrase.
    Peut être parce qu’un CUI rougissant ça me parait réaliste, malgré que tu paraisses si affranchi :p :p :p
    Je plussoie Columbine. Re-tirage de langue et sourire innocent.

  8. #8
     
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    marietro a gazouillé  :

    N’empêche j’y ai cru jusqu’au bout. Très très plausible. Bravo
    Vous donnerez vos horaires de TGV/Thalys ? C’est pour vous embrasser.

  9. #9
     
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    Lune rouge a gazouillé  :

    Que tu es fleur bleue, des fois… ;-)

  10. #10
     
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    Miss.Flo a gazouillé  :

    Joli, j’adore ce genre de rêveries :)

  11. #11
     
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    Vagant a gazouillé  :

    L’illustration, en revanche, je ne vois pas. Quel est le rapport avec la constipation féminine ?

  12. #12
     
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    sofi a gazouillé  :

    Ah ah ah oui !! Et les bloggeurs sont de grands timides…
    Mais c est une belle rencontre possible…qui n a rien de gênant ..
    Moi j ai failli disparaître sous mon bureau au travail en reconnaissant l homme qui rentrait et la ,la j avoue c est encore plus gênant et j en ai perdu la voixxxxx

  13. #13
     
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    Usclade a gazouillé  :

    Pour l’instant, niveau coïncidence ferroviaire heureuse, je n’ai réussi qu’à me retrouver dans le même train que l’amant de ma femme. C’est moins glamour à priori, mais c’était sympa quand même :-)

  14. #14
     
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    Gabriel a gazouillé  :

    Je n’y ai pas cru un seul instant : il n’y a qu’une rame dans les Eurostar ;-)

  15. #15
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @ Carnet d’Éros » J’avoue ne pas hésiter à manquer de prudence en lieux publics, persuadé d’être invisible dans l’immensité parisienne. Une fois, j’ai un ami (heureusement au courant de mon « mode de vie », disons) qui m’a surpris en train d’embrasser une jeune femme du côté d’Opéra (en pleine nuit pourtant). A contrario, j’avais une très chère amante (J***) qui habitait à quelques pas d’un collègue de travail de ma femme, du coup j’étais très prudent dans son quartier mais je ne l’ai jamais croisé… sauf une fois, totalement ailleurs, à un endroit où j’étais seul. J’ai ri de ce clin d’œil du hasard !

    @ columbine & ivv » Comment interpréter ce « en ce moment ». Ma foi, mon appétit est ce qu’il est ; lui ne change pas, ou si peu. Si je me disperse tant en ce moment, c’est sans doute que je ne trouve aucune amante qui ne concentre à elle seule tout ce que je recherche dans mes ailleurs (la réciproque est vraie pour elles, soit dit en passant), alors je cherche un peu partout ces qualités dispersées comme un puzzle si dangereux à reconstituer.

    @ ivv & marietro » Oui, c’était amusant d’écrire ce texte en essayant d’être au plus près de ce que je suis ; évidement plus hasardeux d’imaginer comment, elle, aurait pu se comporter si nous avions effectivement pris le même train !

    @ marietro » Mon voyage en Thalys était d’une triste banalité ; pas de jolies paires de chaussures à mater (j’étais cerné par des enfants qui limitaient en outre ce que je m’autorisais à afficher sur mon PC). Heureusement que j’étais bercé par les délicieux souvenirs que je ramenais de Bruxelles (je parle des pralines, bien sûr).

    @ Lune rouge » Eh oui, on ne se refait pas ! (Je reste un romantique de la bite, en somme.)

    @ Miss Flo » Je suis un fâcheux qui préfère la réalité à la fiction ! Mais, avec parcimonie, rêver, peut-être !

    @ Vagant » Ah ! Je vous emmène dans les étoiles, et vois où tu nous fais atterrir ! Je ne te félicite pas ;)

    @ sofi » Cacher la voix ?!

    @ Usclade » Avez-vous partagé une blonde ?!

    @ Gabriel » Bienvenu ici ! Vraiment ? La fiche Wikipedia parle de « demi-rames » mais je ne sais pas si elles communiquent. Toujours est-il que la présence de deux voitures-bars dans mon Eurostar m’a fait partir sur une hypothèse biaisée. (Ah c’est dur de mentir !!!)

  16. #16
     
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    Gabriel a gazouillé  :

    Le concept est celui d’une rame unique (sécable pour des raisons de sécurité) avec secondes classes aux extrémités, séparées des premières centrales par deux voitures-bar, et des employés chargés de s’assurer que la plèbe ne vienne pas traverser le saint des saints.

  17. #17
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @ Gabriel » Merci pour ces précisions ! N’empêche que je croyais qu’il y avait deux rames, donc mon histoire reste hyper réaliste ! (Ou alors il aurait fallu que je rajoute une réplique de Freda se moquant de mes connaissances à la ramasse !)

  18. #18
     
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    Barbara a gazouillé  :

    Ah les détails techniques.
    Etant totalement contre le tunnel sous la Manche, et préférant le charme des bateaux qui traversent looooonnnnguement le Channel, je dois dire que j’y étais. Totalement.

  19. #19
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @ Barbara » L’avantage du bateau, c’est qu’on n’est pas sous un tunnel, les portables portent.
    #OhWait

  20. #20
     
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    Un portrait a gazouillé  :

    j’ai beaucoup, beaucoup aimé…
    Et je me demandais : préfères-tu rougir ou faire rougir ?

  21. #21
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @ Un portrait » (Chouette !)
    Je préfère faire rougir, bien sûr.
    Quand je rougis, je me sens gauche, je maudis ma timidité et je me sens encore plus faible !

  22. #22
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    (Encore que je ne cherche pas spécialement à faire rougir mes interlocutrices, mais ça peut être touchant !)

  23. #23
     
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    Amantureux a gazouillé  :

    Encore une belle histoire.. :-)
    Qui me rappelle cette fois où elle et moi nous étions coordonnés pour être assis l’un à côté de l’autre.. Nous rêvions de Mile High Club.. Mais finalement ce fu un orgasme intense emboités l’un dans l’autre sous la Manche, après avoir parcouru tout le train à la recherche du coin propice.. :-)

  24. #24
     
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    Comme une image a gazouillé  :

    @amantureux (En ce qui me concerne) dommage qu’elle sorte de mon imagination et non de mes souvenirs !

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