L’unique règle de plaire est de trouver un appétit que l’on a laissé affamé. S’il le faut provoquer, que ce soit plutôt par l’impatience du désir que par dégoût de la jouissance.
– Baltasar Gracian Y Morales
Nous sonnons à la porte et les secondes s’égrène. Personne n’ouvre. Petit instant d’inquiétude, le club serait-il fermé, aurions-nous été jaugés et jugés indignes d’entrer ? Deuxième coup de sonnette, fructueux cette fois. J’aperçois à travers la grille un œil qui nous scrute et un instant après la porte s’ouvre. Nous sommes accueillis poliment mais froidement. Autant régler le sujet maintenant et ne plus en parler ensuite : malgré nos efforts de convivialité, pas un des membres du personnel, que ce soit à l’accueil ou au bar, ne nous aura montré un peu de chaleur ou de bienveillance. Quel contraste par rapport au Moon City où, dès l’entrée, on nous propose aimablement de visiter les lieux et où les sourires flottent autour du bar. Les « habitués » ont peut-être droit à un meilleur accueil, je le leur souhaite. Moi, le message que j’ai reçu, c’est un « estimez-vous heureux d’être acceptés dans notre mâgnifique club, et n’oubliez pas de payer vos 75 € plus consos à la sortie ».
Avec A*** et sans escorte, donc, nous faisons le tour du propriétaire. Au rez-de-chaussée, un grand espace qui, certains soirs, doit servir pour le restaurant. Il est vide. Au fond, un grand cabinet de toilettes dont je fais l’usage immédiat. On y trouve l’attirail habituel des clubs, jusqu’à la solution buccale pour les haleines douteuses (à moins que ça ne soit à utiliser en fin de promenade : Chérie ! tu as un spermatozoïde coincé entre les dents !).
Nous descendons au sous-sol dans un escalier paré d’une petite rivière de lumière qui me rappelle l’illumination de Noël des Champs-Élysées, splendide, que j’ai traversé juste quelques heures plus tôt. Je dis « petite rivière » car « cascade » pourrait laisser imaginer que nous étions baignés de lumière. Tout au contraire, l’éclairage est, partout, très tamisé. Lourds rideaux de velours rouge, décoration qui paraîtrait sans doute un peu baroque en pleine lumière, je pensais que ce serait un peu plus sobre (la déco du No Comment m’avait été vantée) mais rien qui n’ait, finalement, heurté mon œil sévère. Le club n’est pas très rempli. Nous jetons quelques coups d’œil rapide aux quelques couples assis sur les banquettes. La piste de danse et vide et les haut-parleurs crachent une mauvaise disco-dance. Nous continuons la visite sans trop savoir où nous diriger. Cette porte ? Ah non, celle-ci ! Nous entrons dans un couloir étroit dont la première pièce qu’il dessert, après les cabinets de toilettes, est une salle couverte de miroirs et baignée d’une douce lumière cuivrée. Intéressant ! J’aime énormément faire l’amour entouré de miroirs, j’aime voir nos sexes en communion sous des angles inédits, voir comment bouge mon propre corps, une main (tiens, c’est la tienne !) qui caresse un dos (tiens, c’est le mien !), une femme qui ondule sur ou sous moi. En prendre plein les yeux, quoi ! Coude dans le couloir, nous passons une salle de douche puis arrivent deux salles « cabines » très élégamment décorées. Une qui évoque une cabine de train, la seconde qui évoque celle d’un paquebot. Pour chacune, une porte (qui ferme à clef), un endroit où l’on tient debout puis un grand matelas qui doit pouvoir accueillir trois couples en se serrant un peu, au-delà on la transformerait en cabine hammam : il y a le Moon pour ça. Sur le côté, un hublot permettant de regarder depuis le lit ce qui se passe dans le couloir (à moins que ça ne soit le contraire ?).
On trouve des kleenex à disposition, mais pas de préservatifs qu’il faut penser à demander au bar à l’avance, faute de quoi on risque, dans l’élan, de se trouver un peu dépourvu. Je trouve dommage que les préservatifs ne soient pas proposés en libre service dans chaque pièce, j’y vois d’un très mauvais œil une incitation, fut-elle passive, au « relapse ».
Nous poursuivons notre exploration et découvrons le lit aux dimensions impressionnantes qu’a très bien décrit Georges. Une sorte de lit de conte de fées pour adultes, où le Petit Poucet et ses six frères pourraient forniquer joyeusement avec les sept filles de l’ogre. Il était bien vide au moment de notre passage. Sur le côté, une pièce très sombre (lumière noire ?) où nous apercevons deux couples en train de faire je-ne-sais-quoi qui devait rimer en -tion. Nous ne nous approchons pas d’eux. Pour l’instant, l’heure est à la visite. Il y a aussi une pièce qui ferme avec des barreaux. Ah oui, j’oubliais : sous un des porches qui mène au lit géant, un couple de bracelets qui permettent d’y enchaîner une proie. Intéressant, me dis-je. Ce n’est pas l’endroit où je les aurais installés, mais j’aime parfois lancer l’injonction « jouissez avec entraves ! »
Je ne serai pas capable de faire une description plus précise de cette partie-là du club, car nous n’y aurons presque pas passé de temps. Le tour de piste effectué, nous retournons au bar. La musique, toujours aussi médiocre, ne me donne aucune envie d’aller danser. Puisqu’aucun couple ne nous tombe dessus, et que nous-mêmes ne sommes pas enclins à aller ouvrir la conversation, je propose à A*** de me suivre pour faire plus ample connaissance (disons ça comme ça). Cela me paraissait plus raisonnable de prendre contact avec le corps de l’autre, de découvrir la façon dont il bouge, d’entr’apercevoir la musique qu’on pourrait jouer ensemble avant de nous mélanger avec d’autres corps encore, d’autres musiques avec un minimum d’harmonie. Minimum syndical. Je jette mon dévolu sur la cabine maritime (à ce moment, toutes les pièces closes sont libres). Nous commençons à nous déshabiller, à échanger quelques caresses quand je remarque l’absence de préservatif. Je me rhabille sommairement pour aller quémander mes petits bouts de caoutchouc et pouvoir en disposer l’esprit libre, quand le moment serait propice. Je suis rassuré ! À mon retour en cabine, ma place n’a pas été prise par un passager clandestin opportuniste. Larguez les amarres ! Très vite, nous nous débarrassons mutuellement de nos habits (A*** ne portera plus que ses Dim Up noirs). Très très vite, A*** prend mon sexe dans sa bouche. Je dois dire que je n’ai rien fait pour retarder ce moment. Aussi bien A*** m’avait indiqué ses réticences à embrasser, aussi bien elle m’avait fait part de son goût prononcé pour les fellations. Comme elle connaissait l’existence de ce burp, je l’avais invitée à lire mon texte que je voyais comme un encouragement à démarrer une fellation même si je ne manifeste pas « visiblement » mon désir. Connaissant ma malheureuse disposition à ne pas arriver à bander en club, malgré ce sur-érotisme à l’assaut de tous mes sens, je voulais prendre mes précautions. Mais là, sous le charme de ma partenaire et seul avec elle, la réanimation n’est pas nécessaire et c’est ma queue crânement dressée qu’elle prend, sans mot dire, et fait coulisser ses lèvres. Je reste passif un instant, pour goûter vraiment sa caresse, puis mes mains partent à l’assaut de son corps pour un peu de réciprocité. Mes doigts descendent sur son corps, prennent, pressent ses seins, glissent sur son ventre, incapables de se soustraire au tropisme de son sexe. Ils ne le savent pas encore, mais ils font leur première récolte du nectar de chatte qui enchantera mon lendemain brumeux. Par contre, ce qu’ils savent, c’est que le lieu est accueillant et que ma langue s’y plaira ; elle ne tardera pas à descendre y plonger puisque, aux étages supérieurs, elle est persona non grata.
Pendant que nous nous occupons tous les deux, on aperçoit de temps à autre quelques paires d’yeux curieux au hublot, parfois on entend le bruit de la porte verrouillée qu’on aura tenté d’ouvrir.
Maintenant, j’ai envie de pénétrer A***. J’attrape un préservatif posé sur le rebord, je le déroule sur mon sexe tendu. A*** est allongée et m’attend, elle écarte ses cuisses pour m’accueillir et doucement, tout doucement, je m’enfonce en elle.
Illustration (toujours non contractuelle) de Vlastimil Kula.
[L’intégrale : Épisode 1 – Épisode 2 – Épisode 3 – Épisode 4]