[41] Spleen

« J’ai envie de faire l’amour, lentement et en plein jour,
   Dans une chambre chauffée, habitée, ensoleillée
(…)
et rêver que c’est facile…
et rêver que c’est facile… »

Bernard Lavilliers – 15e round


 

Hop, je complète par un lien intéressant sur la mécanique de l’âme.

[40] Il y a plus d’apprêts…

À Saint-Germain-des-Prés…
J’ai choisi un banc libre, encore baigné des rayons du soleil de cette journée finissante. L’air était tiède, j’imaginais que cette lumière sècherait les larmes qui coulaient encore sur mes joues. Je sortais de mon premier rendez-vous avec elle. Premier rendez-vous depuis notre séparation, on avait des choses à se dire, voyez-vous. Un joli passé derrière nous et un futur à imaginer.

J’ai tenté un moment de lui donner le change, je n’étais pas à l’aise, il y avait mes silences, mon regard qui fuyait, on dressait un peu le constat… J’essayais d’évoquer les discussions qu’on n’avait pas eues, les chemins différents que nous aurions pu tenter d’emprunter… Les mots s’accumulaient, devenaient chacun de plus en plus lourds, et la digue a bien entendu fini par péter, larmes, répit, puis un flot violent qui m’empêchait de penser à quoi que ce soit hormis l’abîme dans lequel son départ m’avait précipité. Quelque chose de pas très constructif, donc. Il fallait couper court.

 

 

J’étais donc assis sur mon banc, hésitant à lire le journal que je m’étais mis sous le nez, pensant que ça pouvait être une diversion, mais elle était trop grossière. J’ai plutôt choisi de faire confiance au soleil comme cicatrisant. Je levai la tête, regardai les gens passer – je les regardais sans les voir, je cherchais en moi l’apaisement – et puis j’ai vu passer cette femme devant moi, et elle, je l’ai regardée. Elle devait avoir dans les quarante ans, un peu moins, un peu plus. Elle portait une ample robe, légère, claire, qui ondulait harmonieusement au rythme de ses pas déterminés. Elle avait un sourire plein de confiance, qui disait « je suis belle » ou peut-être « je suis heureuse »,  « il fait drôlement beau », « je viens de me faire baiser comme une déesse » ou encore « je ne vais pas tarder à me faire baiser comme une déesse »… Elle marchait d’une allure altière, le port droit, la tête regardant droit devant, le torse bombé. J’ai pensé un instant qu’elle avait une allure de cowgirl, je n’aurais pas été étonné d’entendre le tintement de ses éperons scander ses pas. Sa tenue aurait pu avoir le ridicule de l’extravagance, elle était belle.

Je l’ai regardée, et elle aussi m’a regardé. Elle souriait toujours, voyant pourtant mes yeux rougis de larmes – d’autres auraient plus rapidement détourné le regard – ma bouche fermée et mon air de chien battu. Nos regards se quittèrent, puis, un instant plus tard, nous nous fixâmes à nouveau. Et là, son sourire me fut communicatif. Je lui ai souri alors que d’ordinaire, quand une femme me sourit sans que je m’y attende (dans le métro par exemple), je me fige, je détourne le regard, honteux et rougissant d’imaginer que je pourrais avoir l’audace de lui rendre un sourire.

L’histoire s’arrête là. Son pas n’a pas ralenti. Je ne me suis pas précipité sur elle « ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ».

Non, juste, son sourire avait été comme une piqûre de rappel que le bonheur peut exister. Un signal que la vie reprendrait tôt ou tard le dessus.

[39] Film X (soyons racoleur)

X-men 3, l’ultime affrontement est le troisième volet d’une série qui, so far, m’avait plutôt séduite dans le genre risqué de la transposition cinématographique d’un comic.
Pas la peine d’énumérer ici tous les précédents, les réussis, les inégaux, les foireux, « il y a des maisons pour ça » (de Première aux Cahiers du Cinéma, en passant par Positif, Studio et UGC-Magazine) et toi, ami lecteur, tu n’es pas là pour ça, tu es là pour lire ce que moi j’en pense (si un burp ne peut pas être égocentré, alors à quoi bon ?).

medium_JeanX3.jpgLa série des X-men vaut surtout pour le sex appeal redoutable de deux de ses principaux protagonistes : Wolverine (toi et moi c’est quand tu veux mon loup) et Jean Grey (pas besoin d’être grand clerc pour lire mes pensées). Pour ça et également pour quelques scènes d’une beauté graphique époustouflante (la scène d’ouverture de l’épisode 2, avec Diablo s’introduisant à la Maison Blanche, ou encore la séquence d’évasion de Magneto dans ce même épisode 2, pour ne citer que ces deux exemples parmi les plus éloquents).

Je me rends donc pour visionner ce troisième épisode, ayant entendu quelques bonnes critiques, plusieurs moins enthousiastes (ce qui m’inquiétait d’autant plus qu’elles venaient de personnes prétendant avoir aimé les deux premiers), mais l’envie de me faire ma propre opinion n’allait pas s’évanouir pour si peu.

medium_WolverinePose.jpgAlors bon, j’en pense quoi de ce numéro 3 ?
Humm… D’abord que le scénario est un peu moins bien branlé que les précédents.
Que la réapparition de Jean Grey, censée être morte à la fin de l’épisode 2, est un peu tirée par les cheveux rouges. Je n’allais pas particulièrement m’en plaindre, vu ce que je viens d’écrire plus haut. Même si la Famke Janssen a pris un léger coup de vieux, elle reste quand même délicieusement bandante (bien plus que Hal Berry mais ça n’engage que moi). Que Wolverine est lui aussi toujours aussi … roaaaarrrr

Que le manichéisme forces du bien/force du mal est décrit avec la lourdeur pataude des films américains s’adressant à un public abruti (toi bon : blancheur angélique [le petit garçon enfermé, Angel…], toi méchant : tatoué tribal, dans une église mal éclairée, regard torve).

Que la prétendue schizophrénie de Jean soigneusement dissimulée dans les deux premiers épisodes (même pas une allusion, ou j’ai rêvé ?) surgit comme un deus ex machina et que, comme c’est bizarre, quand elle devient méchante, elle devient vilaine, avec ces vilaines veines qui la défigurent. Quand télépathe en colère, télépathe toujours faire ça.

Sinon, le final avec ce je t’aime, je te tue, que voulez-vous, ça m’a tiré quelques larmes, évidemment.

 

En conclusion : à voir si vous avez vraiment aimé les deux premiers épisodes et que votre niveau d’exigence n’est pas au plus haut. Ou éventuellement si vous n’avez pas vus les deux premiers, ça pourrait vous donner envie de les voir. 

 

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X-Men 4, le définitif dernier extrême final

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… parce que si, comme moi, vous n’êtes pas du genre à vous lever avant la toute dernière note de musique et le tout dernier mot du générique de fin, vous verrez qu’une petite surprise vous attend.

Tu parles, Charles. 

[37] La vie des médias, rubrique euthanasie

Actualité des médias agitée ces temps-ci. Je ne vais pas parler des malheurs de France Soir. Allez, si, finalement, j’en lâche un ou deux mots : à vrai dire, que France Soir coule ne me broye pas le cœur. Tout le monde pleure le journal de Lazareff, mais ça fait un bail que ledit Lazareff doit se retourner dans sa tombe voyant ce que son journal est devenu. Bon, un journal qui coule, ça reste toujours un peu triste, mais c’est moins triste quand c’est un journal médiocre.

Pendant que j’y suis, que doit-on dire pour les personnes incinérées ? Qu’elles se retournent dans leur urne ?

Zurban

J’apprends donc vendredi que l’hebdomadaire parisien Zurban met la clé sous la porte, faute de lecteur. Un des rédacteurs confie « on nous annonce ça [que le précédent numéro sera le dernier, NDLR] d’un coup, sans prévenir, on nous dit que c’est fini, alors que nous étions en train de préparer la prochaine édition du journal » et un autre poursuit « j’aurais au moins souhaité pouvoir expliquer cette disparition à nos lecteurs, mettre un point final à l’histoire ». Une revendication qui a toute mon adhésion puisqu’elle résonne avec mon histoire personnelle et récente…

Je fus un lecteur de Zurban, un abonné, même, puis j’ai fini par m’en lasser. Articles et dossiers souvent un peu creux, bonnes adresses rares. J’en appréciais les critiques cinéma, honorables. J’ai profité assez récemment d’une offre courte de réabonnement pour pas cher, que je n’ai pas souhaité renouveler, mon choix étant conforté par l’apparition d’une rubrique gay & lesbienne. Je ne supporte pas la culture ghetto, et quand je vais boire un verre ou écouter un concert, je ne veux pas savoir si mon voisin préfère sucer les queues ou les chattes, la seule chose qui compte c’est qu’il apprécie la même musique que moi. Bref. Encore un journal à la dérive qui cherchait un moyen d’augmenter son audience et qui, dans la panique, va exactement dans la direction inverse de celle qu’il faudrait prendre : diviser, au lieu de fédérer.

Encore que mes conseils en matière de presse ne valent probablement pas tripette. Mes goûts vont généralement dans le sens opposé de celui du vent. J’adorais 7 à Paris (je vous parle d’un temps…) : disparu. Je me réjouissais de chaque parution de L’autre Journal : clé sous la porte. Je n’avais pas trouvé d’équivalent au Mensuel du Cinéma (superbe présentation et critiques remarquables) : à la trappe.
A contrario, je pleure l’humour décalé perdu du mensuel Max et me désabonne, celui-ci annonce désormais une insolente santé.

Libération

Encore un journal qui va mal et qui ne prend pas la bonne direction, enfin en tout cas pas à mon avis.
On apprenait donc hier que Serge July était sur la sellette, menacé par le loup qu’il avait introduit lui-même dans la bergerie.

Spinoza disait « tout être tend à persévérer dans l’être » et les journaux, c’est pareil (vous voulez une aspirine ?).
Dit autrement, ça revient à : les journaux ont tendance à devenir une caricature d’eux-même, à partir du moment où ils ne font pas un effort de renouvellement. Libération, donc, ne se renouvelle pas, ou en tout cas pas assez, ou à mon avis pas comme il faudrait. Leur tout dernier supplément hebdomadaire Écrans annoncé à grands renforts publicitaires est globalement inintéressant. Pitoyable ! Pourtant, Libé n’est habituellement pas trop mauvais question culture, mais alors là, c’est raté. Je préfèrerai un supplément  » télévision «  tant qu’à faire, je suis sûr que les gens préféreraient ça.

Libération ferait bien aussi de passer un petit coup de Kärcher sur quelques rubriques dont on doit sans doute penser qu’elles font le cachet de ce journal, mais qui en fait sont comme une verrue collée sur le nez ; sans croître particulièrement, on finit par ne voir plus qu’elle, et elle nous exaspère.

Quelques exemples :
– La chronique de Louis Skorecki sur le cinéma
– Les leçons de bonne-conscience-de-gauche proférées par Pierre Marcelle qui était plus drôle et moins pontifiant quand il usait sa plume féroce dans le cahier livre. Finalement, le mépris pour la différence n’est pas une bonne source d’inspiration.
– Le regard homocentrique permanent sur l’actualité

Sur ce dernier point, qu’on ne se méprenne pas : je ne suis pas contre la présence d’article visant à combattre l’homophobie et permettre de faire évoluer la société. Ce qui m’agace, c’est que tout soit finalement vu à travers ce prisme.

À côté de ça, Libération a beaucoup de qualités : une iconographie soignée, une rédaction brillante sur les questions de Justice, un cahier Livres remarquable, un cahier Emploi souvent instructif, un ton décalé agréable qui en fait un canard moins indigeste à lire que Le Monde (encore que parfois, un peu plus de rigueur serait appréciée dans la sélection du courrier et l’argumentaire pour taper sur la droite).

Tout ça fait que l’éjection proche de July pourrait être le signal d’un certain renouvellement attendu, tout aussi bien qu’il ne soit qu’une étape supplémentaire vers la déliquescence de ce titre. Ni optimisme, ni pessimisme. Attentisme.

[36] Sur la ligne 4

Il y avait cet homme dans le métro ce matin, assis dans le carré à côté du mien. Il lisait le journal, l’air fermé. Il survolait le journal, en fait, passant rapidement d’une page à l’autre. Je me suis dit qu’il devait se contenter de ne lire que les titres, et les articles en diagonale, sans qu’aucun n’accroche vraiment son attention. Pourtant, il lisait un vrai journal, pas un de ces torchons comme Métro qui laissent croire à ses lecteurs qu’ils seront plus informés après l’avoir lu alors que leur seul but est de rendre les cerveaux disponibles à recevoir la pub florissante qui les fait vivre.
Les pages tournaient rapidement entre ses mains, quand d’un coup leur compulsion s’arrêta. Avait-il trouvé un article digne d’intérêt ?
J’ai vu qu’alors ses yeux se brouillaient. Ses lèvres tremblaient à peine, son visage était figé, et une première larme coula de son œil droit, depuis le coin extérieur de son œil. Un instant après, une deuxième larme partit de l’œil gauche, glissa lentement sur sa joue. Et ce fut tout. Il resta un instant immobile, le regard toujours posé sur son journal, ne se souciant pas de qui autour de lui pouvait le dévisager (de sorte que j’avais tout loisir de l’observer, m’étant moi-même détaché de ma lecture matinale). Il s’essuya ensuite les yeux du coin de la main, tira de sa poche un vieux mouchoir avec lequel il sécha ses larmes, puis se moucha, et reprit sa lecture comme si le temps ne s’était pas arrêté ces deux minutes (une seule, peut-être), les pages se succédant à nouveau au même rythme rapide.
Moi-même morose ces temps-ci, je me suis bien évidemment pris d’empathie pour cet homme d’environ 35 ans, peut-être plus. J’ai pensé que son chagrin venait de la perte d’un être cher. Son père était mort, peut-être. Il avait était malade longtemps, il s’était donc préparé à le voir mourir et sa mort devait être à la fois un soulagement (la fin de l’agonie pour son père qu’il avait vu s’affaiblir de jour en jour) et la tristesse de ne plus devoir l’entendre parler que dans ses souvenirs.
Ou alors, il pleurait son licenciement, qu’il sentait proche, ou qu’on lui avait annoncé. Après 10 ans de boîte, sur ce boulot qu’il avait eu tant de mal à décrocher, où il se sentait bien, on le virait avec quelques autres, parce que la société perdait de l’argent. Il allait se retrouver à galérer – combien de mois encore ? 3 ? 10 ? 30 ? – entre ANPE et ASSEDIC, entre PARE et APEC, pour finalement décrocher un boulot plus chiant et moins bien payé, en ravalant ses ambitions.
Pleurait-il son couple ? Venait-il de s’engueuler une énième fois avec sa femme ce matin sur un sujet futile, une paire de chaussette qui traînait, une bouteille de lait vide ? Ces prises de bec se multipliaient ces derniers temps, et ni l’un ni l’autre ne faisait plus l’effort d’essayer d’aplanir ces tensions, par lassitude, probablement. Tous deux s’étaient résignés à laisser mourir leur couple, passer par pertes et profits ce qui restait de leur amour, de leur projets, et passer « comme les autres » à la suite, bousculant dans leur difficulté d’adultes les enfants qui voyagent dans le même wagon.
À moins que ça ne soit sa maîtresse qui lui ait dit « bye bye, ras-le-bol de toi qui ne me fais plus jouir, ras-le-bol de Monsieur le vicieux avec moi qui rentre tous les soirs chez bobonne où la vie est si confortable, une fois les couilles vidées ». Il est triste parce qu’il l’aimait bien quand même et que quand elle le suçait, il y sentait de l’envie, et pas l’accomplissement d’un simple devoir conjugal.
Il est possible qu’il ait appris récemment qu’il avait le cancer. Un sale cancer, de ceux dont les statistiques n’encourage pas le plus grand optimiste. À son âge, en plus, cette saloperie allait proliférer à vitesse grand V. Il n’avait pas prévenu grand monde dans son entourage encore. Personne au bureau ne soupçonnait que bientôt il serait en congés maladie, et que quelques mois plus tard ils donneraient un billet de 10 ou 20 euros lors de la quête pour acheter une couronne « À notre collègue regretté ». Il versait une larme de peur pour la douleur à venir, quand il sentirait ses entrailles rongées. Il versait une larme sur tout ce qu’il allait quitter, et surtout sur tout ce qu’il n’aura pas eu le temps de vivre (ce pays, qu’il aurait aimé visiter, cette femme, qu’il aurait aimé baiser… les « si » se bousculent dans sa tête).
Il replia le journal et descendit à la station Châtelet.